GRIMM BRÜDER

Title:LE GRIFFON
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM

LE GRIFFON


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Il était une fois un roi. Où il régnait et comment il s'appelait, je n'en sais
plus rien. Il n'avait pas de fils, mais une fille unique. Elle était toujours
malade et aucun docteur ne pouvait la guérir. Quelqu'un dit au roi qu'elle
retrouverait la santé si elle mangeait des pommes. Le roi fit savoir dans tout
le pays que celui qui apporterait à sa fille des pommes qui la guériraient la
recevrait en mariage et serait fait roi. Parmi ceux qui en entendirent parler se
trouvait un paysan qui avait trois fils :
- Va sur nos terres, remplis un panier de belles pommes aux joues rouges et
porte-les au château. Peut-être la fille du roi en guérira-t-elle ; tu
l'épouseras et deviendras roi.
Le jeune homme fit ce qu'on lui disait et se mit en route.
Au bout de quelque temps, il rencontra un petit homme vêtu de gris. Celui-ci lui
demanda ce qu'il portait dans son panier. Uli - c'est ainsi que se nommait le
jeune homme - lui répondit :
- Des cuisses de grenouilles !
Le petit homme dit alors :
- Eh bien ! qu'elles le soient et qu'elles le demeurent !
Et il s'en alla. Finalement, Uli arriva au château et se fit annoncer. Il avait
des pommes, dit-il, qui guériraient la princesse si elle en mangeait. Le roi se
réjouit fort et fit amener le jeune homme aussitôt. Mais, oh ! surprise, quand
il ouvrit le panier, il était plein de cuisses de grenouilles et non de pommes.
Et les cuisses remuaient encore. Le roi se mit en colère et le fit chasser du
château. Quand Uli fut de retour à la maison, il raconta à son père ce qui lui
était arrivé.
Le père envoya alors son second fils, qui s'appelait Samuel. Il lui arriva la
même chose qu'à Uli. Il rencontra également le petit homme en gris qui lui
demanda ce qu'il avait dans son panier. Samuel dit :
- Des soles de porc.
Le petit homme gris dit :
- Eh bien ! qu'elles le soient et le demeurent !
Quand Samuel arriva au château et qu'il eut fait annoncer qu'il apportait des
pommes susceptibles de guérir la princesse, on ne voulut tout d'abord pas le
laisser entrer. On lui dit qu'il était déjà venu quelqu'un qui les avait pris
pour des fous. Samuel insista. Il avait vraiment des pommes ; il fallait le
laisser entrer. Mais quand il ouvrit son panier, il était plein de soles de
porc. Le roi se mit tellement en colère qu'il fit jeter Samuel à la porte à
coups de cravache. Quand le garçon fut rentré chez lui, il raconta ce qui lui
était arrivé.
Le plus jeune, celui qu'on appelait Jeannot le Bêta, s'approcha d'eux. Il
demanda à son père s'il ne pourrait pas lui permettre de porter lui aussi des
pommes au roi.
- Toi, dit le père, tu es vraiment l'homme qu'il faut pour cela ! Si ceux qui
sont intelligents n'y arrivent pas, que pourrais-tu bien faire !
Mais le jeune homme insista.
- Père, j'aimerais essayer moi aussi !
- Tais-toi donc, imbécile ! attends d'être devenu plus malin ! répondit le père
en lui tournant le dos.
Jeannot le tira par les basques :
- Père, je voudrais essayer moi aussi !
- Eh bien ! si tu veux, vas-y ! Tu finiras bien par revenir.
Le garçon en sauta de joie.
- C'est ça, fais le fou ! dit le père. Tu deviens plus stupide de jour en jour !
Mais Jeannot s'en moquait. Rien ne pouvait ternir sa joie.
Comme la nuit allait bientôt tomber, il décida d'attendre le lendemain. D'abord
il ne trouva pas le sommeil. Finalement, il s'assoupit et rêva de jolies jeunes
filles, de château d'or, d'argent et de bien d'autres choses encore. Dès l'aube,
il se mit en route et avant peu rencontra le petit homme morose dans son habit
gris qui lui demanda ce qu'il portait dans son panier. Jeannot lui répondit que
c'était des pommes qui devaient redonner la santé à la fille du roi.
- Eh bien ! dit le petit homme, qu'elles le soient et le demeurent !
- Au château, on ne voulut pas le laisser entrer. On lui dit qu'il en était déjà
venu deux autres qui prétendaient apporter des pommes. Le premier avait des
cuisses de grenouilles, le second des soies de porc. Jeannot affirma
solennellement qu'il apportait bien des pommes et pas des cuisses de
grenouilles, les plus belles pommes du royaume. Comme il semblait sincère le
portier finit par se dire . « Celui-là ne ment pas ! » Et il le laissa entrer.
Il avait eut raison. Quand Jeannot ouvrit son panier devant le roi, il était
plein de pommes jaune d'or. Le roi était très content. Il fit aussitôt porter
des pommes à sa fille et attendit avec impatience de savoir ce qui en
résulterait. Bientôt quelqu'un vint lui donner des nouvelles. Et qui était-ce, à
votre avis ? La fille du roi elle même ! À peine avait-elle goûté aux pommes
qu'elle avait bondi hors de son lit, guérie ! Combien fut grande la joie du roi,
on ne peut le décrire.
Cependant, le roi ne voulait pas encore donner tout de suite sa fille en mariage
à Jeannot. Il lui demanda de construire d'abord une nacelle qui naviguât sur
terre encore mieux que sur l'eau. Jeannot n'y trouva rien à redire. Il rentra à
la maison et raconta aux siens ce qui s'était passé. Le père envoya Uli au bois
pour qu'il y construisit la nacelle demandée. Tout en sifflotant une chanson, le
garçon y mit beaucoup de zèle. Vers midi, quand le soleil fut au plus haut, le
petit homme en gris arriva et lui demanda ce qu'il faisait là. Uli lui répondit
:
- Des ustensiles en bois !
Le petit homme dit :
- Eh bien ! qu'il en soit ainsi et que cela le reste !
Le soir, Uli pensa qu'il avait construit une nacelle. Mais quand il voulut s'y
asseoir, elle vola en éclats et des ustensiles en bois se répandirent partout.
Le lendemain, ce fut au tour de Samuel d'aller à la forêt. Il ne lui arriva rien
d'autre qu'à Uli. Le troisième jour, Jeannot le Bêta s'y rendit à son tour. Il
travailla d'arrache-pied. La forêt résonnait tout entière des coups qu'il
assenait. En même temps, il chantait et sifflait joyeusement. Quand arriva midi,
le petit homme apparut de nouveau et lui demanda ce qu'il faisait :
- Une nacelle qui aille encore mieux sur terre que sur l'eau, répondit Jeannot.
Et il expliqua que quand il aurait réussi à la construire, il obtiendrait la
fille du roi pour épouse.
- Eh bien ! dit le petit homme, qu'il en soit ainsi et que cela le reste !
Le soir, quand le soleil se coucha, brillant comme de l'or pur, Jeannot avait
achevé de construire sa nacelle et tous les accessoires nécessaires. Il y prit
place et rama en direction du château royal. La nacelle filait comme le vent. Le
roi le vit arriver de loin, mais il n'accepta pas encore de lui donner sa fille.
Il lui demanda de garder auparavant un troupeau de cent lièvres du matin
jusqu'au soir. S'il s'en échappait un seul, il n'épouserait pas sa fille.
Jeannot, là encore, se déclara d'accord. Dès le lendemain, il partit par les
prés avec son troupeau, en prenant bien garde qu'aucun lièvre ne s'échappât.
Bientôt arriva une servante du château qui le pria de vite lui en donner un. On
attendait un invité de marque. Mais Jeannot comprenait fort bien où l'on voulait
en venir. Il répondit qu'il ne donnerait pas de lièvre. Le roi n'avait qu'à
attendre le lendemain pour offrir un civet à son hôte. Mais la servante n'en
démordait pas. Jeannot lui dit alors qu'il ne donnerait un lièvre que si le roi
venait en personne le lui demander. La servante fit part de cette réponse au
château. La fille du roi vint alors elle-même. Entre-temps, Jeannot avait
rencontré le petit homme qui lui avait demandé ce qu'il faisait là. Il lui
fallait garder cent lièvres, lui avait-il répondu, et veiller à ce qu'aucun ne
s'enfuit. S'il réussissait, il épouserait la princesse et deviendrait roi.
- Bien, avait dit le petit homme voici un sifflet. Si l'un des lièvres se sauve,
tu n'auras qu'à souffler dedans et il reviendra.
Quand la fille du roi arriva, Jeannot déposa un lièvre dans son tablier. Mais à
peine eut-elle parcouru une centaine de mètres qu'il porta son sifflet à ses
lèvres et - pas vu, pas pris ! - ...