|
|
KIPLING RUDYARD
Title:LE CHAT QUI ALLAIT SON CHEMIN TOUT SEUL
Subject:ENGLISH FICTION
Rudyard Kipling
Le Chat qui allait son chemin tout seul
********
Ois, écoute et entends bien ; car ceci advint, ceci survint, devint et fut, ô ma
Mieux-Aimée, à une époque où les animaux Apprivoisés étaient sauvages. Le Chien
était sauvage, le Cheval était sauvage, la Vache était sauvage, le Mouton était
sauvage, le Cochon était sauvage, sauvages autant qu'il est possible d'être
sauvage, et ils allaient sauvages et solitaires par les Bois Humides et
Sauvages. Mais le plus sauvage de tous les animaux sauvages, c'était le Chat. Il
allait son chemin tout seul, et pour lui tous les endroits se valaient.
Bien sûr l'Homme était sauvage lui aussi. Il était sauvage à faire peur. Il ne
commença vraiment à s'apprivoiser que lorsqu'il rencontra la Femme, elle lui dit
qu'elle ne voulait pas vivre comme une sauvage. Elle dénicha pour s'y coucher,
au lieu d'un tas de feuilles humides, une jolie Caverne sèche, puis elle
répandit du sable propre sur le sol ; elle alluma un bon feu de bois au fond de
la Caverne ; elle suspendit une peau de cheval sauvage séchée, la queue en bas,
devant l'entrée de la Caverne, puis elle dit :
« Essuie tes pieds quand tu rentres, mon chéri. Désormais nous allons avoir un
foyer. »
Ce soir-là, ma Mieux-Aimée, ils mangèrent du mouton sauvage rôti sur les pierres
chaudes, assaisonné d'ail sauvage et de poivre sauvage ; et du canard sauvage
farci de riz sauvage et de fenugrec sauvage et de coriandre sauvage ; et des os
à moelle de boeuf sauvage, des cerises sauvages et des passiflores sauvages.
Puis l'Homme s'endormit devant le feu, très heureux, mais la Femme resta
éveillée à peigner ses cheveux. Elle prit l'os de l'épaule de mouton, la grande
omoplate toute plate et en examina les magnifiques marques, puis elle ajouta du
bois dans le feu et fit une Magie. Elle fit la Première Magie Chantante au
monde.
Dehors, dans les Bois Humides et Sauvages, tous les animaux sauvages
s'assemblèrent là où ils pouvaient voir la lumière du feu à grande distance et
ils se demandèrent ce que cela signifiait.
Alors Cheval Sauvage piaffa avec son sabot sauvage et dit :
« Ô mes Amis, ô mes Ennemis, pourquoi l'Homme et la Femme ont-ils fait cette
grande lumière dans cette grande Caverne, et que devons-nous redouter ? »
Chien Sauvage leva son museau sauvage et renifla l'odeur du mouton rôti et dit :
« Je vais aller voir et regarder et dire ; car ça me semble bon. Chat, viens
avec moi.
- Nenni ! dit le Chat. Je suis le Chat qui va son chemin tout seul et pour moi
tous les endroits se valent. Je n'irai pas.
- Alors c'en est fini de notre amitié », dit Chien Sauvage.
Et il trottina jusqu'à la Caverne. Mais à peine était-il parti que le Chat se
dit : « Pour moi tous les endroits se valent. Pourquoi n'irais-je pas moi aussi
voir et regarder puis repartir à ma guise ? » Donc il suivit Chien Sauvage
doucement, tout doucement, et il se cacha là où il pouvait tout entendre.
Lorsque Chien Sauvage atteignit l'entrée de la Caverne, il souleva avec son
museau la peau de cheval séchée et renifla la bonne odeur du mouton rôti. Et la
Femme, regardant l'omoplate, l'entendit, et rit et dit :
« Voici le premier. Chose Sauvage des Bois Sauvages, que veux-tu ? »
Chien sauvage dit :
« 0 mon Ennemie et Femme de mon Ennemi, qu'est-ce qui sent si bon dans les Bois
Sauvages ? »
Alors la Femme prit un os de mouton rôti et le jeta à Chien Sauvage et dit :
« Chose Sauvage des Bois Sauvages, goûte et essaye. »
Chien Sauvage rongea l'os et c'était plus savoureux que tout ce qu'il avait
goûté jusqu'alors, et il dit :
« 0 mon Ennemie et Femme de mon Ennemi, donne-m'en un autre. »
La Femme dit :
« Chose Sauvage des Bois Sauvages, aide mon Homme à chasser la journée et garde
cette Caverne la nuit, et je te donnerai autant d'os rôtis que tu voudras.
Ah ! dit le Chat tout ouïe. Voici une Femme très maligne, mais pas aussi maligne
que moi. »
Chien Sauvage entra en rampant dans la Caverne et posa sa tête sur les genoux de
la Femme et dit :
« Ô mon Amie et Femme de mon Ami, j'aiderai ton Homme à chasser la journée et la
nuit je garderai ta Caverne.
- Ah ! dit le Chat tout ouïe. Voilà un Chien bien stupide. »
Et il repartit dans les Bois Humides et Sauvages en agitant sa queue sauvage,
s'en allant solitaire et sauvage. Mais il ne raconta rien à personne.
Quand l'Homme se réveilla, il dit :
« Que fait donc ici Chien Sauvage ? »
Et la Femme dit :
« Il ne s'appelle plus Chien Sauvage mais le Premier Ami, car il sera notre ami
pour toujours et à jamais. Prends-le avec toi lorsque tu iras à la chasse. »
Le soir suivant, la Femme coupa de grandes brassées d'herbe verte dans les noues
qu'elle fit sécher devant le feu, et cela sentait le foin fraîchement coupé, et
elle s'assit à l'entrée de la Caverne et tressa un licol en cuir de cheval et
regarda l'os de l'épaule de mouton, la grosse et large omoplate toute plate, et
fit une Magie. Elle fit la Seconde Magie Chantante au monde.
Là-bas dans les Bois Sauvages, tous les animaux sauvages se demandaient ce qu'il
était advenu de Chien Sauvage, et à la fin, Cheval Sauvage tapa du pied et dit :
« Je vais aller voir et rapporter pourquoi Chien Sauvage n'est pas revenu. Chat,
viens avec moi.
- Nenni, dit le Chat. Je suis le Chat qui va son chemin tout seul et pour moi
tous les endroits se valent. »
Mais il suivit malgré tout Cheval Sauvage, doucement, tout doucement, et il se
cacha là où il pouvait tout entendre.
Quand la Femme entendit Cheval Sauvage broncher et trébucher sur sa longue
crinière, elle rit et dit :
« Voici le second. Chose Sauvage des Bois Sauvages, que veux-tu ? »
Et Cheval Sauvage dit :
« Ô mon Ennemie et Femme de mon Ennemi, où est Chien Sauvage ? »
La Femme rit, ramassa l'omoplate, la regarda et dit :
« Chose Sauvage des Bois Sauvages, tu n'es pas venue pour Chien Sauvage, mais
pour cette bonne herbe. »
Et Cheval Sauvage, qui bronchait et trébuchait sur sa longue crinière, dit :
« C'est vrai. Donne-m'en à manger. »
Et la Femme dit :
« Chose Sauvage des Bois Sauvages, courbe ta tête sauvage et porte ce que je te
donne, et tu mangeras cette herbe merveilleuse trois fois par jour.
- Ah ! dit le Chat tout ouïe. Voici une Femme très habile, mais pas aussi habile
que moi. »
Cheval Sauvage courba sa tête sauvage et la Femme glissa autour le licol de cuir
tressé, et Cheval Sauvage souffla sur les pieds de la Femme et dit :
« Ô ma Maîtresse et Femme de mon Maître, je serai ton serviteur pour avoir de
l'herbe merveilleuse.
- Ah ! dit le Chat tout ouïe. Voilà un Cheval bien stupide. »
Et il repartit dans les Bois Humides et Sauvages en agitant sa queue sauvage,
s'en allant solitaire et sauvage. Mais il ne raconta rien à personne.
Quand l'Homme et le Chien rentrèrent de la chasse, l'Homme dit :
« Que fait Cheval Sauvage ici ? »
Et la Femme dit :
« Il ne s'appelle plus Cheval Sauvage mais le Premier Serviteur, car il nous
portera de-ci de-là pour toujours et à jamais. Monte sur son dos quand tu iras à
la chasse. »
Le lendemain, tenant sa tête sauvage bien droite pour que ses cornes sauvages ne
se prennent pas aux branches des arbres sauvages, Vache Sauvage se rendit à la
Caverne et le Chat la suivit et il se cacha comme précédemment et tout se
déroula comme précédemment et le Chat dit les mêmes choses que précédemment ; et
quand Vache Sauvage eut promis à la Femme de lui donner chaque jour son lait en
échange de l'herbe merveilleuse, le Chat repartit dans les Bois Humides et
Sauvages en agitant sa queue sauvage, s'en allant solitaire et sauvage comme
précédemment. Mais il n'en parla jamais à personne. Et quand l'Homme, le Cheval
et le Chien revinrent de la chasse et posèrent les mêmes questions que
précédemment, la Femme dit :
« Elle ne s'appelle plus Vache Sauvage mais la Donneuse de Bonne Nourriture.
Elle nous donnera du bon lait blanc bien chaud pour toujours et à jamais et je
m'occuperai d'elle pendant que toi, le Premier Ami et le Premier Serviteur vous
serez ...
|
|
|