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GRIMM BRÜDER
Title:LE CONTE DU GENÉVRIER
Subject:GERMAN FICTION
Jacob et Wilhelm GRIMM
Le conte du Genévrier
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Il y a de cela bien longtemps, au moins deux mille ans, vivait un homme riche
qui avait une femme de grande beauté, honnête et pieuse ; ils s'aimaient tous
les deux d'un grand amour, mais ils n'avaient pas d'enfant et ils en désiraient
tellement, et la femme priait beaucoup, beaucoup, nuit et jour pour avoir un
enfant ; mais elle n'arrivait pas, non, elle n'arrivait pas à en avoir.
Devant leur maison s'ouvrait une cour où se dressait un beau genévrier, et une
fois, en hiver, la femme était sous le genévrier et se pelait une pomme ; son
couteau glissa et elle se coupa le doigt assez profondément pour que le sang fît
quelques taches dans la neige. La femme regarda le sang devant elle, dans la
neige, et soupira très fort en se disant, dans sa tristesse : « Oh ! si j'avais
un enfant, si seulement j'avais un enfant vermeil comme le sang et blanc comme
la neige ! » Dès qu'elle eut dit ces mots, elle se sentit soudain toute légère
et toute gaie avec le sentiment que son voeu serait réalisé. Elle rentra dans la
maison et un mois passa : la neige disparut ; un deuxième mois, et tout avait
reverdi ; un troisième mois, et la terre se couvrit de fleurs ; un quatrième
mois, et dans la forêt, les arbres étaient tout épais et leurs branches vertes
s'entrecroisaient sans presque laisser de jour : les oiseaux chantaient en foule
et tout le bois retentissait de leur chant, les arbres perdaient leurs fleurs
qui tombaient sur le sol ; le cinquième mois passé, elle était un jour sous le
genévrier et cela sentait si bon que son coeur déborda de joie et qu'elle en
tomba à genoux, tant elle se sentait heureuse ; puis le sixième mois s'écoula,
et les fruits se gonflèrent, gros et forts, et la femme devint toute silencieuse
; le septième mois passé, elle cueillit les baies du genévrier et les mangea
toutes avec avidité, et elle devint triste et malade ; au bout du huitième mois,
elle appela son mari et lui dit en pleurant : « Quand je mourrai, enterre-moi
sous le genévrier. » Elle en éprouva une immense consolation, se sentit à
nouveau pleine de confiance et heureuse jusqu'à la fin du neuvième mois. Alors
elle mit au monde un garçon blanc comme la neige et vermeil comme le sang, et
lorsqu'elle le vit, elle en fut tellement heureuse qu'elle en mourut.
Son mari l'enterra alors sous le genévrier et la pleura tant et tant : il ne
faisait que la pleurer tout le temps. Mais un jour vint qu'il commença à la
pleurer moins fort et moins souvent, puis il ne la pleura plus que quelquefois
de temps à autre ; puis il cessa de la pleurer tout à fait. Un peu de temps
passa encore, maintenant qu'il ne la pleurait plus, et ensuite il prit une autre
femme.
De cette seconde épouse, il eut une fille ; et c'était un garçon qu'il avait de
sa première femme : un garçon vermeil comme le sang et blanc comme la neige. La
mère, chaque fois qu'elle regardait sa fille, l'aimait beaucoup, beaucoup ; mais
si elle regardait le petit garçon, cela lui écorchait le coeur de le voir ; il
lui semblait qu'il empêchait tout, qu'il était toujours là en travers, qu'elle
l'avait dans les jambes continuellement ; et elle se demandait comment faire
pour que toute la fortune revînt à sa fille, elle y réfléchissait, poussée par
le Malin, et elle se prit à détester le petit garçon qu'elle n'arrêtait pas de
chasser d'un coin à l'autre, le frappant ici, le pinçant là, le maltraitant sans
cesse, de telle sorte que le pauvre petit ne vivait plus que dans la crainte.
Quand il revenait de l'école, il n'avait plus un instant de tranquillité.
Un jour, la femme était dans la chambre du haut et la petite fille monta la
rejoindre en lui disant :
- Mère, donne-moi une pomme !
- Oui, mon enfant ! lui dit sa mère, en lui choisissant dans le bahut la plus
belle pomme qu'elle put trouver. Ce bahut, où l'on mettait les pommes, avait un
couvercle épais et pesant muni d'une serrure tranchante, en fer.
- Mère, dit la petite fille, est-ce que mon frère n'en aura pas une aussi ?
La femme en fut agacée, mais elle répondit quand même :
- Bien sûr, quand il rentrera de l'école.
Mais quand elle le vit qui revenait, en regardant par la fenêtre, ce fut
vraiment comme si le Malin l'avait possédée : elle reprit la pomme qu'elle avait
donnée à sa fille, en lui disant : « Tu ne dois pas l'avoir avant ton frère. »
Et elle la remit dans le bahut, dont elle referma le pesant couvercle.
Et lorsque le petit garçon fut arrivé en haut, le Malin lui inspira son accueil
aimable et ses paroles gentilles : « Veux-tu une pomme, mon fils ? » Mais ses
regards démentaient ses paroles car elle fixait sur lui des yeux féroces, si
féroces que le petit garçon lui dit :
- Mère, tu as l'air si terrible : tu me fais peur. Oui, je voudrais bien une
pomme.
Sentant qu'il lui fallait insister, elle lui dit :
- Viens avec moi ! et, l'amenant devant le gros bahut, elle ouvrit le pesant
couvercle et lui dit : Tiens! prends toi-même la pomme que tu voudras !
Le petit garçon se pencha pour prendre la pomme, et alors le Diable la poussa et
boum ! elle rabattit le lourd couvercle avec une telle force que la tête de
l'enfant fut coupée et roula au milieu des pommes rouges.
Alors elle fut prise de terreur (mais alors seulement) et pensa : « Ah ! si je
pouvais éloigner de moi ce que j'ai fait ! » Elle courut dans une autre pièce,
ouvrit une commode pour y prendre un foulard blanc, puis elle revint au coffre,
replaça la tête sur son cou, la serra dans le foulard pour qu'on ne puisse rien
voir et assit le garçon sur une chaise, devant la porte, avec une pomme dans la
main.
La petite Marlène, sa fille, vint la retrouver dans la cuisine et lui dit, tout
en tournant une cuillère dans une casserole qu'elle tenait sur le feu :
- Oh ! mère, mon frère est assis devant la porte et il est tout blanc ; il tient
une pomme dans sa main, et quand je lui ai demandé s'il voulait me la donner, il
ne m'a pas répondu. J'ai peur !
- Retournes-y, dit la mère, et s'il ne te répond pas, flanque-lui une bonne
claque !
La petite Marlène courut à la porte et demanda : « Frère, donne-moi la pomme, tu
veux ? » Mais il resta muet et elle lui donna une gifle bien sentie, en y
mettant toutes ses petites forces. La tête roula par terre et la fillette eut
tellement peur qu'elle se mit à hurler en pleurant, et elle courut, toute
terrifiée, vers sa mère :
- Oh ! mère, j'ai arraché la tête de mon frère !
Elle sanglotait, sanglotait à n'en plus finir, la pauvre petite Marlène. Elle en
était inconsolable.
- Marlène, ma petite fille, qu'as-tu fait ? dit la mère. Quel malheur ! Mais à
présent tiens-toi tranquille et ne dis rien, que personne ne le sache, puisqu'il
est trop tard pour y changer quelque chose et qu'on n'y peut rien. Nous allons
le faire cuire en ragoût, à la sauce brune.
La mère alla chercher le corps du garçonnet et le coupa en menus morceaux pour
le mettre à la sauce brune et le faire cuire en ragoût. Mais la petite Marlène
ne voulait pas s'éloigner et pleurait, pleurait et pleurait, et ses larmes
tombaient dans la marmite, tellement qu'il ne fallut pas y mettre de sel.
Le père rentra à la maison pour manger, se mit à table et demanda : « Où est mon
fils ? » La mère vint poser sur la table une pleine marmite de ragoût à la sauce
brune et petite Marlène pleurait sans pouvoir s'en empêcher. Une seconde fois,
le père demanda « Mais où est donc mon fils ?
- Oh ! dit la mère, il est allé à la campagne chez sa grand-tante ; il y restera
quelques jours.
- Mais que va-t-il faire là-bas ? demanda le père et il est parti sans seulement
me dire au revoir !
- Il avait tellement envie d'y aller, répondit la femme ; il m'a demandé s'il
pouvait y rester six semaines et je le lui ai permis. Il sera bien là-bas.
- Je me sens tout attristé, dit le père ; ce n'est pas bien qu'il soit parti
sans rien me dire. Il aurait pu quand même me ...
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