GRIMM BRÜDER

Title:L'ESPRIT DANS LA BOUTEILLE
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


L'ESPRIT DANS LA BOUTEILLE


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Il était une fois un pauvre bûcheron qui travaillait du matin au soir. S'étant
finalement mis quelque argent de côté, il dit à son fils :
- Tu es mon unique enfant. Je veux consacrer à ton instruction ce que j'ai
durement gagné à la sueur de mon front. Apprends un métier honnête et tu pourras
subvenir à mes besoins quand je serai vieux, que mes membres seront devenus
raides et qu'il me faudra rester à la maison.
Le jeune homme fréquenta une haute école et apprit avec zèle. Ses maîtres le
louaient fort et il y resta tout un temps. Après qu'il fut passé par plusieurs
classes - mais il ne savait pas encore tout - le peu d'argent que son père avait
économisé avait fondu et il lui fallut retourner chez lui.
- Ah ! dit le père, je ne puis plus rien te donner et, par ce temps de vie
chère, je n'arrive pas à gagner un denier de plus qu'il n'en faut pour le pain
quotidien.
- Cher père, répondit le fils, ne vous en faites pas ! Si telle est la volonté
de Dieu, ce sera pour mon bien. Je m'en tirerai.
Quand le père partit pour la forêt avec l'intention d'y abattre du bois, pour en
tirer un peu d'argent, le jeune homme lui dit :
- J'y vais avec vous. Je vous aiderai.
- Ce sera bien trop dur pour toi, répondit le père. Tu n'es pas habitué à ce
genre de travail. Tu ne le supporterais pas. D'ailleurs, je n'ai qu'une seule
hache et pas d'argent pour en acheter une seconde.
- Vous n'avez qu'à aller chez le voisin, rétorqua le garçon. Il vous en prêtera
une jusqu'à ce que j'ai gagné assez d'argent moi-même pour en acheter une neuve.

Le père emprunta une hache au voisin et, le lendemain matin, au lever du jour,
ils s'en furent ensemble dans la forêt. Le jeune homme aida son père. Il se
sentait frais et dispos. Quand le soleil fut au zénith, le vieux dit :
- Nous allons nous reposer et manger un morceau. Ça ira encore mieux après.
Le fils prit son pain et répondit :
- Reposez-vous, père. Moi, je ne suis pas fatigué ; je vais aller me promener
dans la forêt pour y chercher des nids.
- Petit vaniteux ! rétorqua le père ; pourquoi veux-tu te promener ? Tu vas te
fatiguer et, après, tu ne pourras plus remuer les bras. Reste ici et assieds-toi
près de moi.
Le fils, cependant, partit par la forêt, mangea son pain et, tout joyeux, il
regardait à travers les branches pour voir s'il ne découvrirait pas un nid. Il
alla ainsi, de-ci, de-là, jusqu'à ce qu'il arrivât à un grand chêne, vieux de
plusieurs centaines d'années, et que cinq hommes se tenant par les bras
n'auraient certainement pas pu enlacer. Il s'arrêta, regarda le géant et songea
: « Il y a certainement plus d'un oiseau qui y a fait son nid. » Tout à coup, il
lui sembla entendre une voix. Il écouta et comprit : « Fais-moi sortir de là !
Fais-moi sortir de là ! » Il regarda autour de lui, mais ne vit rien. Il lui
parut que la voix sortait de terre. Il s'écria :
- Où es-tu ?
La voix répondit :
- Je suis là, en bas, près des racines du chêne. Fais-moi sortir ! Fais-moi
sortir !
L'écolier commença par nettoyer le sol, au pied du chêne, et à chercher du côté
des racines. Brusquement, il aperçut une bouteille de verre enfoncée dans une
petite excavation. Il la saisit et la tint à la lumière. Il y vit alors une
chose qui ressemblait à une grenouille ; elle sautait dans la bouteille.
- Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir ! ne cessait-elle de crier.
Sans songer à mal, l'écolier enleva le bouchon. Aussitôt, un esprit sortit de la
bouteille, et commença à grandir, à grandir tant et si vite qu'en un instant un
personnage horrible, grand comme la moitié de l'arbre se dressa devant le
garçon.
- Sais-tu quel sera ton salaire pour m'avoir libéré ? lui demanda-t-il d'une
épouvantable voix.
- Non, répondit l'écolier qui ne ressentait aucune crainte. Comment le
saurais-je ?
- Je vais te tuer ! hurla l'esprit. Je vais te casser la tête !
- Tu aurais dû me le dire plus tôt, dit le garçon. Je t'aurais laissé où tu
étais. Mais tu ne me casseras pas la tête. Tu n'es pas seul à décider !
- Pas seul à décider ! Pas seul à décider ! cria l'esprit. Tu crois ça !
T'imaginerais-tu que c'est pour ma bonté qu'on m'a tenu enfermé si longtemps ?
Non ! c'est pour me punir ! je suis le puissant Mercure. Je dois rompre le col à
qui me laisse échapper.
- Parbleu ! répondit l'écolier. Pas si vite ! Il faudrait d'abord que je sache
si c'était bien toi qui étais dans la petite bouteille et si tu es le véritable
esprit. Si tu peux y entrer à nouveau, je te croirai. Après, tu feras ce que tu
veux.
Plein de vanité, l'esprit déclara :
- C'est la moindre des chose .
Il se retira en lui-même et se fit aussi mince et petit qu'il l'était au début.
De sorte qu'il put passer par l'étroit orifice de la bouteille et s'y faufiler à
nouveau.
À peine y fut-il entré que l'écolier remettait le bouchon et lançait la
bouteille sous les racines du chêne, là où il l'avait trouvée. L'esprit avait
été pris.
Le garçon s'apprêta à rejoindre son père. Mais l'esprit lui cria d'une voix
plaintive :
- Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir !
- Non ! répondit l'écolier. Pas une deuxième fois ! Quand on a menacé ma vie une
fois, je ne libère pas mon ennemi après avoir réussi à le mettre hors d'état de
nuire.
- Si tu me rends la liberté, dit l'esprit, je te donnerai tant de richesses que
tu en auras assez pour toute ta vie.
- Non ! reprit le garçon. Tu me tromperais comme la première fois.
- Par légèreté, tu vas manquer ta chance, dit l'esprit. Je ne te ferai aucun mal
et je te récompenserai richement.
L'écolier pensa : « Je vais essayer. Peut-être tiendra-t-il parole. » Il enleva
le bouchon et, comme la fois précédente, l'esprit sortit de la bouteille,
grandit et devint gigantesque.
- Je vais te donner ton salaire, dit-il. Il tendit au jeune homme un petit
chiffon qui ressemblait à un pansement et dit :
- Si tu en frottes une blessure par un bout, elle guérira. Si, par l'autre bout,
tu en frottes de l'acier ou du fer, ils se transformeront en argent.
- Il faut d'abord que j'essaie, dit l'écolier.
Il s'approcha d'un arbre, en fendit l'écorce avec sa hache et toucha la blessure
avec un bout du chiffon. Elle se referma aussitôt.
- C'était donc bien vrai, dit-il à l'esprit. Nous pouvons nous séparer.
L'esprit le remercia de l'avoir libéré ; l'écolier le remercia pour son cadeau
et partit rejoindre son père.
- Où étais-tu donc ? lui demanda celui-ci. Pourquoi as-tu oublié ton travail ?
Je te l'avais bien dit que tu ne t' y ferais pas !
- Soyez tranquille, père, je vais me rattraper.
- Oui, te rattraper ! dit le père avec colère. Ce n'est pas une méthode !
- Regardez, père, je vais frapper cet arbre si fort qu'il en tombera.
Il prit son chiffon, en frotta sa hache et assena un coup formidable. Mais,
comme le fer était devenu de l'argent, le fil de la hache s'écrasa.
- Eh ! père, regardez la mauvaise hache que vous m'avez donnée ! La voilà toute
tordue.
Le père en fut bouleversé et dit :
- Qu'as-tu fait ! Il va me falloir payer cette hache. Et avec quoi ? Voilà ce
que me rapporte ton travail !
- Ne vous fâchez pas, dit le fils ; je paierai la hache moi-même.
- Imbécile, cria le vieux, avec quoi la paieras-tu ? Tu ne possèdes rien d'autre
que ce que je t'ai donné. Tu n'as en tête que des bêtises d'étudiant et tu ne
comprends rien au travail du bois.
Un moment après, l'écolier dit :
- Père, puisque je ne puis plus travailler, arrêtons-nous.
- Quoi ! dit le vieux. T'imagines-tu que je vais me croiser les bras comme toi ?
Il faut que je travaille. Toi, tu peux rentrer.
- Père, je suis ici pour la première fois. Je ne retrouverai jamais le chemin
tout seul. Venez avec moi.
Le père, dont la colère s'était calmée, se laissa convaincre et partit avec son
fils. il lui dit :
- Va et ...