GRIMM BRÜDER

Title:APPRENDRE À FRISSONNER
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Subject:GERMAN FICTION
Speaker:ACHIARY PIERRE
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Jacob et Wilhelm GRIMM

APPRENDRE À FRISSONNER



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Un père avait deux fils. Le premier était réfléchi et intelligent. Il savait se
tirer de toute aventure. Le cadet en revanche était sot, incapable de comprendre
et d'apprendre. Quand les gens le voyaient, ils disaient : « Avec lui, son père
n'a pas fini d'en voir. » Quand il y avait quelque chose à faire, c'était
toujours à l'aîné que revenait la tâche, et si son père lui demandait d'aller
chercher quelque chose, le soir ou même la nuit, et qu'il fallait passer par le
cimetière ou quelque autre lieu terrifiant, il répondait : « Oh non ! père, je
n'irai pas, j'ai peur. » Car il avait effectivement peur. Quand, à la veillée,
on racontait des histoires à donner la chair de poule, ceux qui les entendaient
disaient parfois : « Ça me donne le frisson ! » Le plus jeune des fils, lui,
assis dans son coin, écoutait et n'arrivait pas à comprendre ce qu'ils voulaient
dire. « Ils disent toujours : "ça me donne la chair de poule ! ça me fait
frissonner !" Moi, jamais ! Voilà encore une chose à laquelle je ne comprends
rien. »Il arriva qu'un jour son père lui dit :
- Écoute voir, toi, là dans ton coin ! Tu deviens grand et fort. Il est temps
que tu apprennes à gagner ton pain. Tu vois comme ton frère se donne du mal.
- Eh ! père, répondit-il, j'apprendrais bien volontiers. Si c'était possible, je
voudrais apprendre à frissonner. C'est une chose que j'ignore totalement.
Lorsqu'il entendit ces mots, l'aîné des fils songea : « Seigneur Dieu ! quel
crétin que mon frère ! Il ne fera jamais rien de sa vie. » Le père réfléchit et
dit :
- Tu apprendras bien un jour à avoir peur. Mais ce n'est pas comme ça que tu
gagneras ton pain.
Peu de temps après, le bedeau vint en visite à la maison. Le père lui conta sa
peine et lui expliqua combien son fils était peu doué en toutes choses.
- Pensez voir ! Quand je lui ai demandé comment il ferait pour gagner son pain,
il a dit qu'il voulait apprendre à frissonner !
- Si ce n'est que ça, répondit le bedeau, je le lui apprendrai. Confiez-le-moi.
Le père était content ; il se disait : « On va le dégourdir un peu. » Le bedeau
l'amena donc chez lui et lui confia la tâche de sonner les cloches. Au bout de
quelque temps, son maître le réveilla à minuit et lui demanda de se lever et de
monter au clocher pour carillonner. « Tu vas voir ce que c'est que d'avoir peur
», songeait-il. Il quitta secrètement la maison et quand le garçon fut arrivé en
haut du clocher, comme il s'apprêtait à saisir les cordes, il vit dans
l'escalier, en dessous de lui, une forme toute blanche.
- Qui va là ? cria-t-il.
L'apparition ne répondit pas, ne bougea pas.
- Réponds ! cria le jeune homme. Ou bien décampe ! Tu n'as rien à faire ici !
Le bedeau ne bougeait toujours pas. Il voulait que le jeune homme le prit pour
un fantôme. Pour la deuxième fois, celui-ci cria :
- Que viens-tu faire ici ? Parle si tu es honnête homme. Sinon je te jette au
bas de l'escalier.
Le bedeau pensa : "Il n'en fera rien. " Il ne répondit pas et resta sans bouger.
Comme s'il était de pierre. Alors le garçon l'avertit pour la troisième fois et
comme le fantôme ne répondait toujours pas, il prit son élan et le précipita
dans l'escalier. L'apparition dégringola d'une dizaine de marches et resta là
allongée. Le garçon fit sonner les cloches, rentra à la maison, se coucha sans
souffler mot et s'endormit.
La femme du bedeau attendit longtemps son mari. Mais il ne revenait pas.
Finalement, elle prit peur, réveilla le jeune homme et lui demanda :
- Sais-tu où est resté mon mari ? Il est monté avant toi au clocher.
- Non, répondit-il, je ne sais pas. Mais il y avait quelqu'un dans l'escalier et
comme cette personne ne répondait pas à mes questions et ne voulait pas s'en
aller, je l'ai prise pour un coquin et l'ai jetée au bas du clocher. Allez-y,
vous verrez bien si c'était votre mari. Je le regretterais.
La femme s'en fut en courant et découvrit son mari gémissant dans un coin, une
jambe cassée. Elle le ramena à la maison, puis se rendit en poussant de grands
cris chez le père du jeune homme :
- Votre garçon a fait des malheurs, lui dit-elle. Il a jeté mon mari au bas de
l'escalier, où il s'est cassé une jambe. Débarrassez notre maison de ce vaurien
!
Le père était bien inquiet. Il alla chercher son fils et lui dit :
- Quelles sont ces façons, mécréant ! C'est le diable qui te les inspire !
- Écoutez-moi, père, répondit-il. Je suis totalement innocent. Il se tenait là,
dans la nuit, comme quelqu'un qui médite un mauvais coup. Je ne savais pas qui
c'était et, par trois fois, je lui ai demandé de répondre ou de partir.
- Ah ! dit le père, tu ne me feras que des misères. Disparais !
- Volontiers, père. Attendez seulement qu'il fasse jour. Je voyagerai pour
apprendre à frissonner. Comme ça, je saurai au moins faire quelque chose pour
gagner mon pain.
- Apprends ce que tu veux, dit le père. Ça m'est égal ! Voici cinquante talents,
va par le monde et surtout ne dis à personne d'où tu viens et qui est ton père.
- Qu'il en soit fait selon votre volonté, père. Si c'est là tout ce que vous
exigez, je m'y tiendrai sans peine.
Quand vint le jour, le jeune homme empocha les cinquante talents et prit la
route en se disant : « Si seulement j'avais peur ! si seulement je frissonnais !
»Arrive un homme qui entend les paroles que le garçon se disait à lui-même. Un
peu plus loin, à un endroit d'où l'on apercevait des gibets, il lui dit :
- Tu vois cet arbre ? Il y en a sept qui s'y sont mariés avec la fille du
cordier et qui maintenant prennent des leçons de vol. Assieds-toi là et attends
que tombe la nuit. Tu sauras ce que c'est que de frissonner.
- Si c'est aussi facile que ça, répondit le garçon, c'est comme si c'était déjà
fait. Si j'apprends si vite à frissonner, je te donnerai mes cinquante talents.
Tu n'as qu'à revenir ici demain matin.
Le jeune homme s'installa sous la potence et attendit que vînt le soir. Et comme
il avait froid, il alluma du feu. À minuit le vent était devenu si glacial que,
malgré le feu, il ne parvenait pas à se réchauffer. Et les pendus
s'entrechoquaient en s'agitant de-ci, de-là. Il pensa : « Moi, ici, près du feu,
je gèle. Comme ils doivent avoir froid et frissonner, ceux qui sont là-haut ! »
Et, comme il les prenait en pitié, il appliqua l'échelle contre le gibet,
l'escalada, décrocha les pendus les uns après les autres et les descendit tous
les sept. Il attisa le feu, souffla sur les braises et disposa les pendus tout
autour pour les réchauffer. Comme ils ne bougeaient pas et que les flammes
venaient lécher leurs vêtements, il dit :
- Faites donc attention ! Sinon je vais vous rependre là-haut !
Les morts, cependant, n'entendaient rien, se taisaient et laissaient brûler
leurs loques. Le garçon finit par se mettre en colère.
- Si vous ne faites pas attention, dit-il, je n'y puis rien ! je n'ai pas envie
de brûler avec vous.
Et, l'un après l'autre, il les raccrocha au gibet. Il se coucha près du feu et
s'endormit. Le lendemain, l'homme s'en vint et lui réclama les cinquante talents
:
- Alors, sais-tu maintenant ce que c'est que d'avoir le frisson ? lui dit-il.
- Non, répondit le garçon. D'où le saurais-je ? Ceux qui sont là-haut n'ont pas
ouvert la bouche, et ils sont si bêtes qu'ils ont laissé brûler les quelques
hardes qu'ils ont sur le dos.
L'homme comprit qu'il n'obtiendrait pas les cinquante talents ce jour-là et s'en
alla en disant : « Je n'ai jamais vu un être comme celui-là ! »
Le jeune homme reprit également sa route et se dit à nouveau, parlant à haute
voix .
- Ah ! si seulement j'avais peur ! Si seulement je savais frissonner !
Un cocher qui marchait derrière lui l'entendit et demanda :
- Qui es-tu ?
- Je ne sais pas, répondit le garçon.
Le cocher reprit :
- D'où viens-tu ?
- Je ne sais pas, rétorqua le jeune homme.
- Qui ...