GRIMM BRÜDER

Title:LES PRÉSENTS DES GNOMES
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


LES PRÉSENTS DES GNOMES


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Un tailleur et un forgeron voyageaient ensemble. Un soir, comme le soleil venait
de se coucher derrière les montagnes, ils entendirent de loin le bruit d'une
musique qui devenait plus claire à mesure qu'ils approchaient. C'était un son
extraordinaire, mais si charmant qu'ils oublièrent toute leur fatigue pour se
diriger à grands pas de ce côté. La lune était déjà levée, quand ils arrivèrent
à une colline sur laquelle ils virent une foule de petits hommes et de petites
femmes qui dansaient en rond d'un air joyeux, en se tenant par la main ; ils
chantaient en même temps d'une façon ravissante, et c'était cette musique que
les voyageurs avaient entendue. Au milieu se tenait un vieillard un peu plus
grand que les autres, vêtu d'une robe de couleurs bariolées, et portant une
barbe blanche qui lui descendait sur la poitrine. Les deux compagnons restaient
immobiles d'étonnement en regardant la danse. Le vieillard leur fit signe
d'entrer, et les petits danseurs ouvrirent leur cercle. Le forgeron entra sans
hésiter : il avait le dos un peu rond, et il était hardi comme tous les bossus.
Le tailleur eut d'abord un peu de peur et se tint en arrière mais, quand il vit
que tout se passait si gaiement, il prit courage et entra aussi. Aussitôt le
cercle se referma, et les petits êtres se remirent à chanter et à danser en
faisant des bonds prodigieux ; mais le vieillard saisit un grand couteau qui
était pendu à sa ceinture, se mit à le repasser, et quand il l'eut assez affilé,
se tourna du côté des étrangers. Ils étaient glacés d'effroi ; mais leur anxiété
ne fut pas longue : le vieillard s'empara du forgeron, et en un tour de main il
lui eut rasé entièrement les cheveux et la barbe ; puis il en fit autant au
tailleur. Quand il eut fini, il leur frappa amicalement sur l'épaule, comme pour
leur dire qu'ils avaient bien fait de se laisser raser sans résistance, et leur
peur se dissipa. Alors il leur montra du doigt un tas de charbon qui était tout
près de là, et leur fit signe d'en remplir leurs poches. Tous deux obéirent sans
savoir à quoi ces charbons leur serviraient, et ils continuèrent leur route afin
de chercher un gîte pour la nuit. Comme ils arrivaient dans la vallée, la cloche
d'un monastère voisin sonna minuit : à l'instant même le chant s'éteignit, tout
disparut, et ils ne virent plus que la colline déserte éclairée par la lune.
Les deux voyageurs trouvèrent une auberge et se couchèrent sur la paille tout
habillés, mais la fatigue leur fit oublier de se débarrasser de leurs charbons.
Un fardeau inaccoutumé qui pesait sur eux les réveilla plus tôt qu'a
l'ordinaire. Ils portèrent la main à leurs poches, et ils n'en voulaient pas
croire leurs yeux quand ils virent qu'elles étaient pleines, non pas de
charbons, mais de lingots d'or pur. Leur barbe et leurs cheveux avaient aussi
repoussé merveilleusement. Désormais ils étaient riches ; seulement le forgeron
qui, par suite de sa nature avide, avait mieux rempli ses poches, possédait le
double de ce qu'avait le tailleur. Mais un homme cupide veut toujours avoir plus
que ce qu'il a. Le forgeron proposa au tailleur d'attendre encore un jour et de
retourner le soir près du vieillard pour gagner de nouveaux trésors. Le tailleur
refusa, disant :
- J'en ai assez, et je suis content ; je veux seulement devenir maître en mon
métier et épouser mon charmant objet (il appelait ainsi sa promise) ; et je
serai un homme heureux.
Cependant pour faire plaisir à l'autre, il consentit à rester un jour encore.
Le soir, le forgeron prit deux sacs sur ses épaules pour emporter bonne charge,
et il se mit en route vers la colline. Comme la nuit précédente il trouva les
petites gens chantant et dansant ; le vieillard le rasa et lui fit signe de
prendre des charbons. Il n'hésita pas à emplir ses poches et ses sacs, tant
qu'il y en put entrer, s'en retourna joyeux à l'auberge et se coucha tout
habillé.
- Quand mon or commencera à peser, se dit-il je le sentirai bien.
Et il s'endormit enfin dans la douce espérance de s'éveiller le lendemain matin
riche comme un Crésus.
Dès qu'il eut les yeux ouverts, son premier soin fut de visiter ses poches ;
mais il eut beau fouiller dedans, il n'y trouva que des charbons tout noirs. «
Au moins, pensait- il, il me reste l'or que j'ai gagné l'autre nuit. » Il y alla
voir ; hélas ! cet or aussi était redevenu charbon. Il porta à son front sa main
noircie, et il sentit que sa tête était chauve et rase ainsi que son menton.
Pourtant il ne connaissait pas encore tout son malheur : il vit bientôt qu'à la
bosse qu'il portait par derrière s'en était jointe une autre par devant.
Il sentit alors qu'il recevait le châtiment de sa cupidité et se mit à pousser
des gémissements. Le bon tailleur, éveillé par ses lamentations, le consola de
son mieux et lui dit :
- Nous sommes compagnons, nous avons fait notre tournée ensemble ; reste avec
moi, mon trésor nous nourrira tous deux.
Il tint parole, mais le forgeron fut obligé de porter toute sa vie ses deux
bosses et de cacher sous un bonnet sa tête dépouillée de cheveux.



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