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GRIMM BRÜDER
Title:LE ROITELET
Subject:GERMAN FICTION
Jacob et Wilhelm GRIMM
LE ROITELET
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Autrefois, chaque son avait sa propre signification et son importance. Lorsque
le frappe-devant d'un forgeron retentissait sur le métal, il chantait : « Je
forge, je forge, boum, boum, boum ! » Lorsque le rabot d'un menuisier grinçait,
il s'encourageait au traivail en répétant sans cesse : « Un grincement par-ici,
un grincement par-là, ils sont tous pour toi ! » et lorsque les roues d'un
moulin tournaient, elles résonnaient : « Que Dieu nous garde, clapotis,
clapotas, que Dieu nous garde clac, clac ! » Lorsque le meunier était un filou,
les roues du moulin en marche étaient au début très polies et demandaient : «
Qui est là, qui est là ? » et se donnaient la réponse elles-mêmes : « C'est le
meunier, c'est le meunier ». Et à la fin elles répétaient sans cesse : « Il vole
comme une pie, tu n'auras qu'un demi-sac d'un huitième. »
Jadis, les oiseaux avaient aussi leur propre langage et tout le monde les
comprenait, tandis que de nos jours leur piaillement n'est pour nous qu'un
gazouillis, un jacassement, un cri ou un sifflement ou, dans le meilleur des
cas, une musique sans paroles.
Un jour, les oiseaux décidèrent d'élire leur roi, parce qu'ils ne voulaient plus
vivre sans maître. Un petit oiseau ne fut pourtant pas d'accord, car il vivait
librement et voulait aussi mourir librement. C'était le vanneau. Il voletait
tout affolé et gazouillait :
- Où dois-je voler, où dois-je m'en aller ?
Finalement il décida de vivre à l'écart, s'installa au bord d'un marécage isolé
et ne rejoignit plus jamais les autres.
Les oiseaux voulurent se consulter avant de prendre leur décision et, un beau
matin du mois de mai, ils quittèrent leurs forêts et leurs champs pour tous se
rassembler. Il y avait l'aigle, le pinson, le hibou et la caille, l'alouette et
le moineau, bref tous ceux qui existaient et il serait fastidieux de les
énumérer tous. Se présentèrent également le coucou et la huppe, surnommée le
sacristain du coucou, parce qu'on l'entend toujours quelques jours avant ce
dernier. À la grande réunion arriva aussi, en sautillant, un tout petit oiseau,
qui n'avait même pas encore de nom et qui se mêla aux autres. À cause d'un
concours de circonstances la poule d'eau qui ignorait tout de l'élection prévue,
fut très surprise par tout ce monde.
Elle se mit à caqueter : « Quoi ? Quoi ? » mais le coq la rassura tout de suite
en criant : « C'est un grand rassemblement ! »
Ensuite il expliqua à sa poule préférée ce qui se préparait, puis il se mit à se
vanter :
- Ils ont invité les héros ! Et moi aussi !
L'assemblée générale décida qu'elle élirait roi celui qui volerait le plus haut.
Une rainette cachée dans un buisson l'entendit et coassa un cri d'avertissement
« Pourquoi pleurer ? Quelle idée insensée ! » car elle pensait qu'une telle
élection ne pouvait apporter que des pleurs et des embêtements. Une corneille
l'obligea pourtant à se taire et croassa qu'il n'y aurait pas de vacarme, que
tout irait comme sur des roulettes et que la compétition serait « très belle,
très belle ! »
Les oiseaux rassemblés décidèrent qu'ils partiraient tous à l'aube pour qu'aucun
ne puisse crier en cherchant des excuses : « J'aurais sûrement pu voler plus
haut encore mais la tombée de la nuit m'en a empêché. » Lorsque le départ fut
donné, tous les oiseaux rassemblés se dirigèrent vers le ciel. Des nuages de
poussière montèrent des champs, on entendit un bourdonnement intense, le
battement des ailes, des soufflements et des sifflements et, à première vue, on
aurait pu croire qu'un gros nuage tout noir s'élevait vers le ciel à toute
vitesse. Les petits oiseaux furent vite à bout de souffle et prirent du retard.
Puis, ne pouvant plus continuer, ils redescendirent au sol. Les oiseaux plus
grands tinrent le coup plus longtemps, mais aucun ne put égaler l'aigle qui
montait toujours plus haut, et encore et encore, et il aurait presque pu crever
les yeux du soleil. Lorsqu'il s'aperçut que les autres n'arrivaient pas à le
suivre, il se dit : « Pourquoi monter plus haut encore, puisqu'il est clair que
le roi c'est moi ! » et il descendit lentement jusqu'au sol. Les oiseaux se
mirent aussitôt à l'acclamer :
- C'est toi qui seras notre roi, car aucun de nous n'a pu monter aussi haut que
toi !
- Sauf moi, s'écria le petit oiseau sans nom.
En effet, il s'était caché avant le départ de la course entre les plumes de la
poitrine de l'aigle et n'étant donc pas fatigué, il s'envola et monta si haut
qu'il pouvait apercevoir le bon Dieu assis sur son trône céleste. Ayant atteint
cette hauteur incroyable, il replia ses ailes, descendit jusqu'au sol et cria
d'une voix sifflante :
- Je suis le roi ! je suis le roi ! Le roi, c'est moi !
- Toi, notre roi ? s'écrièrent les oiseaux en colère. Tu n'as réussi que grâce à
ta ruse, tricheur !
Et sur-le-champ, ils formulèrent une nouvelle condition d'élection : le roi
serait celui qui saurait pénétrer le plus profondément dans la terre. C'était
vraiment drôle de voir l'oie battre l'herbe avec sa large poitrine ! Et si vous
aviez vu le coq s'efforçant de creuser un petit trou dans le sol ! Le sort le
plus cruel fut réservé pourtant au canard qui sauta dans un fossé et se foula
les deux pattes. Il réussit à en sortir en clopinant et il rejoignit
difficilement un lac situé à proximité en se lamentant:
- Mon Dieu, quelle débâcle, quelle triste spectacle !
Le tout petit oiseau trouva en attendant un trou creusé par une souris. Il s'y
glissa et fit entendre sa petite voix fluette :
- Je suis le roi ! je suis le roi ! Le roi, c'est moi !
Les autres oiseaux piaillèrent alors encore plus fort qu'auparavant :
- Toi, notre roi ? Tu ne crois tout de même pas que nous allons gober ton
stratagème douteux, espèce de mauviette !
Et ils décidèrent de l'emprisonner dans le trou et de l'y laisser mourir de
faim. Ils confièrent la garde au hibou auquel ils recommandèrent que, pour rien
au monde, il ne devait laisser le tricheur s'échapper, s'il tenait à rester en
vie.
La nuit tomba. Les oiseaux fatigués par leur long vol commencèrent à rentrer
chez eux pour y retrouver leurs femmes et leurs petits, et pour se coucher. Le
hibou resta tout seul près du trou et, immobile, il le fixait de ses yeux
énormes. Néanmoins, lui aussi fut gagné par la fatigue.
« Je peux tout de même fermer un oeil, se dit-il, puisque je surveille aussi
avec l'autre. Il veillera et ne permettra pas à ce roitelet infâme de s'enfuir.
»
Il ferma donc un oeil et guetta fixement le trou avec l'autre.
Le petit oiseau coquin voulut s'enfuir et il sortit la tête du trou, mais le
hibou s'approcha vite et il fut obligé de la rentrer immédiatement. Peu de temps
après, le hibou ouvrit l'oeil fermé et ferma l'autre, avec l'intention de
répéter cette manoeuvre toute la nuit. Mais une fois, en fermant l'oeil ouvert,
il oublia d'ouvrir l'autre, et à peine eut-il les deux yeux fermés qu'il
s'endormit. Le petit oiseau, s'en étant très vite aperçu, sortit du trou et
s'enfuit.
Depuis lors le hibou ne peut plus sortir à la lumière du jour, car les oiseaux
se jetteraient sur lui, lui voleraient dans les plumes et lui en feraient voir
de toutes les couleurs. C'est pourquoi il ne sort que la nuit et, plein de
rancune, il chasse les souris. Il les déteste, car elles creusent d'horribles
trous.
Mais le petit roitelet préfère lui aussi ne pas se montrer, car il ne veut pas
risquer sa tête en se laissant attraper. Il se cache donc, se faufile dans les
haies et parfois, lorsqu'il se sent vraiment en sécurité, il crie :
- Je suis le roi ! je suis le roi ! Le roi, c'est moi !
En l'entendant les autres oiseaux se moquent en criant :
- Roitelet, Roitelet, tu te caches dans les haies !
Tous les oiseaux étaient contents de ne plus devoir écouter le roitelet ; mais
c'était l'alouette la plus heureuse.
C'est pourquoi elle monte vers le ciel aux premiers rayons du soleil de
printemps et grisolle :
Quelle joie, la Terre est belle,
quel bonheur de vivre sur elle.
...
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