GRIMM BRÜDER

Title:LE PAUVRE ET LE RICHE
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


LE PAUVRE ET LE RICHE


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Il y a bien longtemps, alors que le bon Dieu voyageait encore lui-même sur terre
parmi les hommes, il se trouva qu'un soir il se sentit fatigué et que la nuit le
surprit avant qu'il fût arrivé à une auberge. De chaque côté de la route se
trouvait une maison, l'une grande et belle, l'autre petite et d'aspect misérable
; la grande appartenait à un riche, la petite à un pauvre. Le Seigneur se dit :
" Je ne serai pas une charge pour le riche ; c'est chez lui que je vais passer
la nuit ".
Quand le riche entendit frapper à sa porte, il ouvrit la fenêtre et demanda à
l'étranger ce qu'il voulait. Le Seigneur répondit :
- Je vous prie de m'accorder l'hospitalité.
Le riche examina le voyageur de la tête aux pieds et comme Dieu portait de
méchants vêtements et n'avait pas l'air d'avoir beaucoup d'argent dans ses
poches, il secoua la tête et dit :
- Je ne peux pas vous recevoir. Mes chambres sont pleines de légumes et de
graines et si je devais héberger tous ceux qui frappent à ma porte, il ne me
resterait plus qu'à prendre moi-même la sébile du mendiant. Cherchez ailleurs où
passer la nuit.
Sur quoi, il ferme sa fenêtre et plante là le bon Dieu. Lequel lui tourne le dos
et traverse la route pour aller vers la petite maison. À peine eut-il frappé que
déjà le pauvre ouvrait sa porte et priait le voyageur d'entrer.
- Passez la nuit chez moi, dit-il ; il fait déjà sombre et vous ne pouvez plus
poursuivre votre chemin aujourd'hui.
Cette attitude plut au bon Dieu et il entra. La femme du pauvre lui tendit la
main, lui souhaita la bienvenue et, lui dit de s'installer à son aise et de se
servir, qu'ils ne possédaient pas grand-chose, mais ce qu'ils avaient, ils le
donnaient de bon coeur. Elle mit des pommes de terre à cuire et alla traire la
chèvre pour pouvoir ajouter un peu de lait au repas. Quand la table fut mise, le
bon Dieu y prit place et mangea avec eux ; la maigre chère qu'on lui offrait lui
plut parce que ses hôtes avaient d'avenantes figures. Quand ils eurent fini de
manger et que le temps fut venu de se coucher, la femme appela discrètement son
mari et lui dit :
- Écoute voir, mon cher mari, nous allons nous installer une couche par terre
pour cette nuit de façon que le pauvre voyageur puisse prendre notre lit et s'y
reposer ; il a marché tout le jour , il y a de quoi être fatigué. - De bon
coeur, répondit-il ; je vais le lui proposer.
Il s'approche du bon Dieu et le prie, s'il en est d'accord, de se coucher dans
leur lit pour y détendre convenablement ses membres. Le bon Dieu ne voulait pas
priver les deux vieux de leur lit. Mais ils n'en démordaient pas et, à la fin,
il dut y consentir. Quant à eux, il se préparèrent une couche à même le sol.
Le lendemain, ils se levèrent avant le jour et confectionnèrent pour leur hôte
un petit déjeuner aussi bon qu'ils en avaient les moyens. Quand le soleil
pénétra par leur petite fenêtre et que le bon Dieu se fut levé, il mangea de
nouveau en leur compagnie et s'apprêta à reprendre la route. Au moment de passer
la porte, il se retourna et dit :
- Parce que vous avez été compatissants et pieux, faites trois voeux ; je les
exaucerai.
Le pauvre dit alors :
- Que pourrais-je souhaiter d'autres que la félicité éternelle et, tant que nous
vivrons, la santé pour nous deux et l'assurance d'avoir toujours notre pain
quotidien ; je n'ai pas de troisième voeu à formuler.
Le bon Dieu dit :
- Ne souhaites-tu pas avoir une nouvelle maison à la place de l'ancienne ?
- Oh ! oui, dit l'homme si je pouvais également obtenir cela, j'en serais
heureux.
Le Seigneur exauça leurs voeux. Il transforma leur vieille maison en une neuve,
leur donna une dernière bénédiction et s'en fut.
Quand le riche se leva, il faisait déjà grand jour. Il se mit à la fenêtre et
aperçut, en face de chez lui, une jolie maison neuve, avec des tuiles rouges, à
l'endroit où, jusque-là, se trouvait une simple hutte. Il ouvrit de grands yeux,
appela sa femme et dit :
- Dis-moi, que s'est-il passé ? Hier soir encore il y avait là une vieille et
misérable cabane ; aujourd'hui, on y voit une belle maison neuve. Vas-y et tâche
de savoir comment cela s'est fait.
La femme y alla et demanda au pauvre ce qui s'était passé. Il lui raconta :
- Hier soir est arrivé un voyageur qui cherchait un toit pour la nuit ; ce
matin, au moment de nous quitter, il nous a offert d'exaucer trois voeux : la
félicité éternelle, la santé sur cette terre et le pain quotidien et,
finalement, par-dessus le marché, une maison nouvelle à la place de l'ancienne.
La femme du riche se hâta de rentrer chez elle et expliqua tout à son mari.
Celui-ci lui dit :
- Je me battrais ! Si seulement j'avais su ça ! L'étranger était d'abord venu
chez nous pour y passer la nuit mais je l'ai renvoyé.
- Dépêche-toi, dit la femme, prends ton cheval, rattrape l'homme et il exaucera
trois voeux pour toi aussi.
Le riche suivit ce judicieux conseil, fila à toute vitesse sur son cheval et
rattrapa le bon Dieu. Il lui parla avec amabilité et astuce, lui demanda de ne
pas lui en vouloir de ne pas l'avoir laissé entrer ; il avait cherché la clé de
la maison et pendant ce temps le cher hôte était déjà parti ; s'il repassait un
jour par là, il fallait absolument qu'il vint chez lui.
- Oui, répondit le bon Dieu, si je repasse par ici sur le chemin du retour, je
le ferai.
Le riche lui demanda alors s'il ne pourrait pas former trois voeux comme son
voisin. Oui, lui répondit le bon Dieu, il pouvait certes le faire ; mais cela ne
serait pas bon pour lui ; il valait mieux s'en abstenir. Le riche dit qu'il
trouverait bien quelque chose qui servirait à son bonheur s'il était sûr que
cela se réaliserait. Le bon Dieu dit alors :
- Rentre chez toi et que les trois voeux que tu feras se réalisent.
Le riche avait obtenu ce qu'il voulait. Il prit le chemin de sa maison tout en
songeant à ce qu'il pourrait bien demander. Comme il méditait ainsi en laissant
à son cheval la bride sur le cou, celui-ci se mit à gambader, si bien que
l'homme en était sans cesse troublé et qu'il n'arrivait pas à concentrer son
esprit. Il toucha le cheval de la main et dit :
- Tiens-toi tranquille !
Mais l'animal continuait à faire ses fariboles. Le riche finit par s'énerver et
s'écria dans son impatience :
- Je voudrais que tu te rompes le cou !
À peine avait-il prononcé ces mots que, vlan ! le voilà par terre, le cheval
mort à côté de lui ; son premier voeu était exaucé. Comme il était avare de
nature, il ne voulut pas abandonner la selle. Il coupa le harnais et la mit sur
son dos en reprenant sa route à pied. « Il me reste encore deux voeux », se
disait-il pour se consoler. Comme il marchait ainsi sur la route poudreuse et
que le soleil de midi commençait à brûler, il eut chaud et se sentit de mauvaise
humeur ; la selle lui blessait le dos et il n'avait toujours pas trouvé ce qu'il
pourrait souhaiter. « Même si je me souhaite toutes les richesses et tous les
trésors de la terre, se disait-il en lui-même, il me viendra par la suite toutes
sortes d'autres envies, je le sais d'avance ; il faut que je m'arrange de telle
sorte qu'il ne me reste rien d'autre à souhaiter. » Et il soupira :
- Ah ! si j'étais un paysan bavarois libre de formuler trois voeux, je saurais
que faire : Je souhaiterais de la bière d'abord de la bière autant que je
pourrais en boire en second lieu ; et encore un tonneau de bière par-dessus le
marché, comme troisième voeu.
Parfois, il croyait avoir trouvé, mais tout de suite après il pensait que cela
ne suffisait pas. Il lui vint tout à coup à l'esprit que sa femme avait bien de
la chance d'être à la maison dans sa chambre fraîche, en train de manger de bon
appétit. Cette pensée l'irrita et, sans s'en rendre ...