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GRIMM BRÜDER
Title:LE FIDÈLE JEAN
Subject:GERMAN FICTION
Jacob et Wilhelm GRIMM
LE FIDÈLE JEAN
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Il était une fois un vieux roi qui tomba malade. Sentant qu'il allait mourir, il
fit appeler le fidèle Jean : c'était son plus cher serviteur, et on le nommait
ainsi parce que toute sa vie il avait été fidèle à son maître. Quand il fut
venu, le roi lui dit :
- Mon fidèle Jean, je sens que ma fin s'approche, Je n'ai de souci qu'en
songeant à mon fils ; il est encore bien jeune ; il ne saura pas toujours se
diriger ; je ne mourrai tranquille que si tu me promets de veiller sur lui, de
l'instruire de tout ce qu'il doit savoir, et d'être pour lui un second père.
- Je vous promets, répondit Jean, de ne pas l'abandonner ; je le servirai
fidèlement, dût-il m'en coûter la vie.
- Je peux donc mourir en paix, dit le vieux roi. Après ma mort, tu lui feras
voir tout le palais, toutes les chambres, les salles, les souterrains avec les
richesses qui y sont renfermées : seulement tu ne le laisseras pas entrer dans
la dernière chambre de la grande galerie, où se trouve le portrait de la
princesse du Dôme d'or. Car, s'il voit ce tableau, il ressentira pour elle un
amour irrésistible qui lui fera courir les plus grands dangers. Tâche de l'en
préserver.
Le fidèle Jean réitéra ses promesses, et le vieux roi, tranquillisé, posa sa
tête sur l'oreiller et expira.
Quand on eut mis le vieux roi au tombeau, Jean raconta au jeune successeur ce
qu'il avait promis à son père, au lit de mort.
- Je le tiendrai, ajouta-t-il, et je vous serai fidèle comme je l'ai été à votre
père, dût-il m'en coûter la vie.
Après que le grand deuil fut passé, Jean dit au roi :
- Il est temps que vous connaissiez votre héritage. je vais vous faire voir le
palais de votre père.
Il le conduisit partout, de haut en bas, et lui fit voir toutes les richesses
qui remplissaient les splendides appartements, en omettant seulement la chambre
où était le dangereux portrait. Il avait été placé de telle sorte que, lorsqu'on
ouvrait la porte, on l'apercevait aussitôt, et il était si bien fait qu'il
semblait vivre et respirer et que rien au monde n'était si beau ni si aimable.
Le jeune roi vit bien que le fidèle Jean passait toujours devant cette porte
sans l'ouvrir, et il lui demanda pourquoi.
- C'est, répondit l'autre, parce qu'il y a dans la chambre quelque chose qui
vous ferait peur.
- J'ai vu tout le château, dit le roi, je veux savoir ce qu'il y a ici.
Et il voulait l'ouvrir de force.
Le fidèle Jean le retint encore et lui dit :
- J'ai promis à votre père, à son lit de mort, de ne pas vous laisser entrer
dans cette chambre : il en pourrait résulter les plus grands malheurs pour vous
et pour moi.
- Le malheur le plus grand, répliqua le roi, c'est que ma curiosité ne soit pas
satisfaite. je n'aurai de repos que lorsque mes yeux auront vu. je ne sors pas
d'ici que tu ne m'aies ouvert.
Le fidèle Jean, voyant qu'il n'y avait plus moyen de s'y refuser, alla, le coeur
bien gros et en soupirant beaucoup, chercher la clef au grand trousseau. Quand
la porte fut ouverte, il entra le premier, tâchant de cacher le portrait avec
son corps ; tout fut inutile : le roi, en se dressant sur la pointe des pieds,
l'aperçut par-dessus son épaule. Mais en voyant cette image de jeune fille si
belle et si brillante d'or et de pierreries, il tomba sans connaissance sur le
parquet. Le fidèle Jean le releva et le porta sur son lit, tout en murmurant :
- Le malheur est fait ; grand Dieu ! qu'allons-nous devenir ?
Et il lui fit prendre un peu de vin pour le réconforter.
Le premier mot du roi, quand il revint à lui, fut pour demander quel était ce
beau portrait.
- C'est celui de la princesse du Dôme d'or, répondit le fidèle Jean.
- Mon amour pour elle est si grand, continua le roi, que, si toutes les feuilles
des arbres étaient des langues, elles ne suffiraient pas à l'exprimer. Ma vie
tient désormais à sa possession. Tu m'aideras, toi qui es mon fidèle serviteur.
Le fidèle Jean réfléchit longtemps à la manière dont il convenait de s'y
prendre, car il était difficile même de se présenter devant les yeux de la
princesse. Enfin, il imagina un moyen, et dit au roi :
- Tout ce qui entoure la princesse est d'or, chaises, plats, tables, gobelets,
meubles de toute espèce. Vous avez cinq tonnes d'or dans votre trésor ; il faut
en confier une aux orfèvres pour qu'ils vous en fassent des vases et des bijoux
d'or de toutes les façons, des oiseaux, des bêtes sauvages, des monstres de
mille formes ; tout cela doit plaire à la princesse. Nous nous mettrons en route
avec ce bagage, et nous tâcherons de réussir.
Le roi fit venir tous les orfèvres du pays, et ils travaillèrent nuit et jour
jusqu'à ce que tout fût prêt. Quand on en eut chargé un navire, le fidèle Jean
prit des habits de marchand, et le roi en fit autant, pour que personne ne pût
le reconnaitre. Puis ils mirent à la voile et naviguèrent jusqu'à la ville où
demeurait la princesse du Dôme d'or.
Le fidèle Jean débarqua seul et laissa le roi dans le navire.
- Peut-être, lui dit-il, ramènerai-je la princesse ; ayez soin que tout soit en
ordre, que les vases d'or soient exposés et que le navire soit paré et en fête.
Là-dessus il remplit sa ceinture de plusieurs bijoux d'or, et se rendit
directement au palais du roi.
Il vit en entrant dans la cour une jeune fille qui puisait de l'eau à une
fontaine avec deux seaux d'or. Comme elle se retournait pour s'en aller, elle
aperçut l'étranger et lui demanda qui il était.
- Je suis marchand, répondit-il.
Et ouvrant sa ceinture, il lui fit voir ses marchandises.
- Que de belles choses ! s'écria-t-elle.
Et, posant ses seaux à terre, elle se mit à considérer tous les bijoux les uns
après les autres.
- Il faut, dit-elle, que la princesse voie tout cela ; elle vous l'achètera,
elle qui aime tant les objets d'or.
- Et, le prenant par la main, elle le fit monter dans le palais, car c'était une
femme de chambre.
La princesse fut ravie de voir les bijoux, et elle dit :
- Tout cela est si bien travaillé que je l'achète.
Mais le fidèle Jean répondit :
- Je ne suis que le serviteur d'un riche marchand ; tout ce que vous voyez ici
n'est rien auprès de ce que mon maître a dans son navire ; vous y verrez les
ouvrages les plus beaux et les plus précieux.
Elle voulait se les faire apporter, mais il dit :
- Il y en a trop, il faudrait trop de temps et trop de place ; votre palais n'y
suffirait pas.
Sa curiosité n'en était que plus excitée, et enfin elle s'écria :
- Eh bien! conduis-moi à ce navire, je veux aller moi-même voir les trésors de
ton maître.
Le fidèle Jean la mena tout joyeux au navire, et le roi, en la voyant, la trouva
encore plus belle que son portrait ; le coeur lui en bondissait de joie. Quand
elle fut montée à bord, le roi lui offrit la main ; pendant ce temps-là, le
fidèle Jean, qui était resté derrière, ordonna au capitaine de lever l'ancre à
l'instant et de fuir à toutes voiles. Le roi était descendu avec elle dans la
chambre et lui montrait une à une toutes les pièces de la vaisselle d'or, les
plats, les coupes, les oiseaux, les bêtes sauvages et les monstres. Plusieurs
heures se passèrent ainsi et, pendant qu'elle était occupée à tout examiner,
elle ne s'apercevait pas que le navire marchait. Quand elle eut fini, elle
remercia le prétendu marchand et se disposa à retourner dans son palais ; mais,
arrivée sur le pont, elle s'aperçut qu'elle était en pleine mer, bien loin de la
terre, et que le navire cinglait à pleines voiles.
- Je suis trahie ! s'écria-t-elle dans son effroi ; on m'emmène ! Être tombée au
pouvoir d'un marchand ? j'aimerais mieux mourir.
Mais le roi lui dit en lui prenant la main :
- Je ne suis pas marchand ; je suis roi, et d'une aussi bonne famille que la
vôtre. Si je vous ai enlevée par ruse, ne l'attribuez qu'à la violence de mon
amour. Il est si fort que, quand ...
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