CARROLL LEWIS (DODGSON CHARLES LUTWIDGE)

Title:ALICE RACONTÉE AUX PETITS
Subject:ENGLISH FICTION Scarica il testo


Carroll Lewis (Dodgson Charles Lutwidge)


Alice racontée aux petits


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Traduction de Bernard Noël

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Préface adressée à toutes les mamans
I. Le Lapin Blanc
II. Comment Alice devint grande
III. Le Lac des Larmes
IV. La course en comité
V. Bill, le lézard
VI. Le cher petit Chien
VII. La Chenille Bleue
VIII. Le Bébé-Cochon
IX. Le Chat du Cheshire
X. Le thé chez les fous
XI. Le jardin de la Reine
XII. Le Quadrille des Homards
XIII. Qui a volé les tartes ?
XIV. L'averse de cartes


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Préface



Préface adressée à toutes les mamans.

Je crois savoir qu'Alice au Pays des merveilles a été lu par quelques
centaines d'enfants anglais, âgés de cinq à quinze ans : aussi par des
enfants, âgés de quinze à vingt-cinq ans : et encore par des enfants, âgés de
vingt-cinq à trente-cinq ans : et même par des enfants - car c'est bien ce
qu'ils sont - des enfants chez qui la force et la santé n'ont point pâli ; la
lassitude, le doute, le semblant et la misère sans espoir de la vie n'ont
point desséché la pure fontaine de joie qui jaillit dans tous les coeurs
semblables aux coeurs d'enfant - des enfants d'un «certain» âge, dont il ne
faut pas raconter l'histoire des années, mais l'ensevelir dans un silence
respectueux.
Et mon ambition cette fois (est-elle vaine ?) est d'être lu par des enfants
âgés de zéro à cinq ans. D'être lu ? Non pas ! Disons plutôt d'être manipulé,
gazouillé, mis à l'oreille du chien, chiffonné, embrassé par les chéris sans
lettres, sans grammaire, mais avec des fossettes, qui remplissent votre
chambre d'enfants d'un joyeux vacarme, et le coeur de votre coeur d'une
incessante allégresse.
Ainsi, par exemple, d'une enfant que j'ai connue un jour, et qui - ayant été
soigneusement instruite que, de chacune des choses qui sont sur la terre,
c'est assez d'une pour une petite fille, et ne pouvant demander deux petits
pains au lait, deux oranges, deux n'importe quoi, sans entendre résonner à ses
oreilles l'effroyable mot de « glouton » - fut découverte un matin assise dans
son lit, le regard solennellement fixé sur ses deux petits pieds nus, et se
murmurant à elle-même, d'une voix douce et contrite, « poutons ! »
Lewis Carroll.
Pâques,1890

Le lapin blanc


I
Le Lapin Blanc.
Il y avait une fois une petite fille appelée Alice, et elle fit un rêve très
curieux.
Aimeriez-vous savoir ce dont elle rêva ?
Eh bien, voici la chose qui, en premier, arriva. Un Lapin Blanc passa par là
d'un pas pressé mais juste au moment de croiser Alice, il s'arrêta et tira sa
montre de son gousset.
N'était-ce pas là une drôle de chose ? Avez-vous déjà vu un Lapin possédant
une montre, et un gousset où la mettre ? Naturellement, quand un lapin possède
une montre, il faut bien qu'il ait aussi un gousset pour l'y mettre : il ne
saurait la transporter dans sa bouche, et il a parfois besoin de ses mains
pour courir.
Il a, n'est-ce pas, de jolis yeux roses (tous les Lapins Blancs, je pense, ont
les yeux roses) ; et des oreilles roses ; et une belle veste brune ; et l'on
devine à peine le mouchoir rouge qui guette depuis sa poche ; quant à sa
cravate bleue et à son gilet jaune, qu'en dire sinon qu'il est vraiment très
joliment habillé.
« Oh ma chère, ma chère !» dit le Lapin, « je vais être en retard ! » En quoi
était-il en retard, je me le demande ? Eh bien, voyez-vous, c'est qu'il devait
rendre visite à la Duchesse (vous verrez bientôt un portrait de la Duchesse,
assise dans sa cuisine), et la Duchesse était une vieille dame très sévère, et
le Lapin savait qu'elle serait très en colère s'il la faisait attendre. Le
pauvret était donc aussi effrayé qu'il pouvait l'être, car il pensait que la
Duchesse lui ferait trancher la tête, pour le punir. C'était ce que la Reine
de Coeur avait l'habitude de faire aux gens quand elle leur en voulait (vous
verrez un portrait d'elle, bientôt) : du moins donnait-elle l'ordre qu'on leur
tranchât la tête, et elle croyait toujours que c'était chose faite, bien qu'on
ne la leur tranchât jamais pour de bon.
Ainsi, quand le Lapin Blanc s'en fut en courant, Alice voulut voir ce qui lui
arriverait : elle courut donc derrière lui, et elle courut, courut tant et si
bien qu'elle tomba tout droit dans le terrier du Lapin.
Et elle fit alors une très longue chute, tombant , tombant, tombant au point
qu'elle se demandait si elle n'était pas en train de traverser le Monde, et si
elle n'allait pas ressortir de l'autre côté !
Cela ressemblait tout à fait à un puits très profond, seulement il n'y avait
pas d'eau. Si quelqu'un faisait réellement une chute pareille, il se tuerait
certainement, mais vous savez bien que tomber en rêve ne fait pas le moindre
mal, car, pendant tout le temps que vous pensez tomber, vous êtes en réalité
couchée saine et sauve, et profondément endormie !
Quoi qu'il en soit, cette chute terrible se termina enfin, et Alice se
retrouva sur un tas de branches et de feuilles sèches. Elle n'avait aucun mal,
et sautant sur ses pieds, elle se remit à courir après le Lapin.
Tel fut le début du drôle de rêve d'Alice. La prochaine fois que vous verrez
un Lapin Blanc, essayez d'imaginer que vous allez, vous aussi, faire un drôle
de rêve, tout comme la chère petite Alice.




Comment Alice devint grande


II
Comment Alice devint grande.
Ainsi, après sa chute au fond du terrier du Lapin et une longue, longue course
sous la terre, Alice se retrouva tout à coup dans une grande salle autour de
laquelle il y avait des portes.
Mais toutes les portes étaient fermées, de telle sorte que, voyez-vous, la
pauvre Alice ne pouvait sortir de cette salle, et qu'elle en était très
triste.
Cependant, au bout d'un moment, elle s'avança vers une petite table, qui était
toute en verre et qui avait trois pieds (il y a deux des pieds sur l'image, et
rien que le commencement du troisième, les voyez-vous ? ) et sur cette table
se trouvait une petite clé : Alice fit le tour de la salle en essayant
d'ouvrir chacune des portes avec cette clé.
Pauvre Alice ! La clé n'ouvrait aucune des portes. Mais à la fin, Alice arriva
devant une porte minuscule, et oh ! comme elle fut heureuse en découvrant que
la clé lui convenait !
Elle ouvrit donc la porte minuscule, puis elle se baissa, puis regarda, et que
pensez-vous qu'elle vit ? Oh, un si beau jardin ! Et elle avait une telle
envie d'y entrer ! Mais la porte était bien trop petite. Elle ne pouvait s'y
faufiler, pas plus que vous ne pourriez vous faufiler par un trou de souris !
La pauvre Alice referma donc la porte, et elle reposa la clé sur la table,
mais cette fois elle trouva dessus une nouvelle chose (regardez l'image de
nouveau), et qu'est-ce que c'était d'après vous ? C'était une petite bouteille
sur laquelle était collée une étiquette portant les mots: «Bois-moi».
Alice goûta, et c'était très bon, aussi vida-t-elle la bouteille jusqu'au
fond. Et comme est curieuse la chose qui lui arriva alors ! Vous ne devinerez
jamais quoi : il faut donc que je vous le dise. Elle devint petite, petite, si
petite qu'à la fin elle eût juste la taille d'une petite poupée !
Elle se dit alors : « Maintenant, j'ai la taille qu'il faut pour passer par la
petite porte ! » Elle y courut. Mais, quand elle y fut, la porte était fermée,
et la clé se trouvait sur la table, et elle ne pouvait plus l'atteindre !
N'était-ce pas un malheur qu'elle eût refermé la porte à clé ?
Bon, la prochaine chose qu'elle trouva fut un petit gâteau, et les mots
«Mange- moi» étaient écrits dessus. Evidemment, elle se mit aussitôt à
l'ouvrage et le mangea. Et que pensez-vous qu'il lui arriva alors ? Non, vous
ne trouverez jamais ! Il va falloir encore que je vous le dise.
Elle grandit, grandit et grandit. Elle devint plus grande qu'elle ne l'était
auparavant !
Plus grande qu'aucun enfant ! Plus grande qu'aucune grande personne ! Plus
grande, plus grande, de plus en plus grande ! Regardez l'image et vous verrez
à quel point elle grandit !
Et vous, qu'auriez-vous préféré : être une toute petite Alice, pas plus grande
qu'un chaton, ou bien ...