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LEPRINCE DE BEAUMONT JEANNE-MARIE
Title:LA VEUVE ET SES DEUX FILLES
Subject:FRENCH FICTION
Jeanne-Marie LEPRINCE DE BEAUMONT
La Veuve et ses deux filles
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Il y avait une veuve, assez bonne femme, qui avait deux filles, toutes deux fort
aimables ; l'aînée se nommait Blanche, la seconde Vermeille. On leur avait donné
ces noms, parce qu'elles avaient, l'une le plus beau teint du monde, et la
seconde des joues et des lèvres vermeilles comme du corail. Un jour la bonne
femme, étant près de sa porte, à filer, vit une pauvre vieille, qui avait bien
de la peine à se trainer avec son bâton.
« Vous êtes bien fatiguée, dit la bonne femme à la vieille. Asseyez-vous un
moment pour vous reposer » ; et aussitôt, elle dit à ses filles de donner une
chaise à cette femme. Elles se levèrent toutes les deux ; mais Vermeille courut
plus fort que sa soeur, et apporta la chaise. «Voulez-vous boire un coup ? dit
la bonne femme à la vieille.
- De tout mon coeur, répondit-elle ; il me semble même, que je mangerais bien un
morceau, si vous pouviez me donner quelque chose pour me ragoûter.
- Je vous donnerai tout ce qui est en mon pouvoir, dit la bonne femme ; mais,
comme je suis pauvre, ce ne sera pas grand-chose. »
En même temps, elle dit à ses filles de servir la bonne vieille, qui se mit à
table : et la bonne femme commanda à l'aînée d'aller cueillir quelques prunes
qu'elle avait planté elle-même et qu'elle aimait beaucoup. Blanche, au lieu
d'obéir de bonne grâce à sa mère, murmura contre cet ordre, et dit en elle- même
: Ce n'est pas pour cette vieille gourmande que j'ai eu tant de soin de mon
prunier. Elle n'osa pourtant pas refuser quelques prunes, mais elle les donna de
mauvaise grâce et à contrecoeur.
" Et vous, Vermeille dit la bonne femme, à la seconde de ses filles, vous n'avez
pas de fruit à donner à cette bonne dame, car vos raisins ne sont pas mûrs.
- Il est vrai, dit Vermeille, mais j'entends ma poule qui chante, elle vient de
pondre un oeuf, et si madame veut l'avaler tout chaud, je le lui offre de tout
mon coeur. "
En même temps, sans attendre la réponse de la vieille, elle courut chercher son
oeuf ; mais dans le moment qu'elle le présentait à cette femme, elle disparut,
et l'on vit à sa place une belle dame, qui dit à la mère:
« Je vais récompenser vos deux filles selon leur mérite. L'aînée deviendra une
grande reine, et la seconde une fermière » ; et en même temps, ayant frappé la
maison de son bâton, elle disparut, et l'on vit à la place une jolie ferme. «
Voilà votre partage, dit-elle à Vermeille. Je sais que je vous donne à chacune
ce que vous aimez le mieux. »
La fée s'éloigna, en disant ces paroles ; et la mère, aussi bien que les deux
filles, restèrent fort étonnées. Elles entrèrent dans la ferme, et furent
charmées de la propreté des meubles. Les chaises n'étaient que de bois ; mais
elles étaient si propres, qu'on s'y voyait comme dans un miroir. Les lits
étaient de toiles, blanches comme la neige. Il y avait dans les étables vingt
moutons, autant de brebis, quatre boeufs, quatre vaches ; et dans la cour,
toutes sortes d'animaux; comme des poules, des canards, des pigeons et autres.
Il y avait aussi un joli jardin, rempli de fleurs et de fruits. Blanche voyait
sans jalousie le don qu'on avait fait à sa soeur, et elle n'était occupée que du
plaisir qu'elle aurait d'être reine. Tout d'un coup, elle entendit passer des
chasseurs, et étant allée sur la porte pour les voir, elle parut si belle aux
yeux du roi, qu'il résolut de l'épouser. Blanche, étant devenue reine, dit à sa
soeur Vermeille :
« Je ne veux pas que vous soyez fermière ; venez avec moi, ma soeur, je vous
ferai épouser un grand seigneur.
- Je vous suis bien obligée, ma soeur, répondit Vermeille ; je suis accoutumée à
la campagne, et je veux y rester.»
La reine Blanche partit donc, et elle était si contente, qu'elle passa plusieurs
nuits sans dormir de joie. Les premiers mois, elle fut si occupée de ses beaux
habits, des bals, des comédies, qu'elle ne pensait à autre chose. Mais bientôt
elle s'accoutuma à tout cela, et rien ne la divertissait plus ; au contraire,
elle eut de grands chagrins. Toutes les dames de la cour lui rendaient de grands
respects, quand elles étaient devant elle ; mais elle savait qu'elles ne
l'aimaient pas, et qu'elles disaient, « voyez cette petite paysanne, comme elle
fait la grande dame ; le roi a le coeur bien bas, d'avoir pris telle femme ». Ce
discours fit faire des réflexions au roi. Il pensa qu'il avait eu tort d'épouser
Blanche ; et comme son amour pour elle était passé, il eut un grand nombre de
maîtresses. Quand on vit que le roi n'aimait plus sa femme, on commença à ne
plus lui rendre aucun devoir. Elle était très malheureuse, car elle n'avait pas
une seule bonne amie, à qui elle pût conter ses chagrins. Elle voyait que
c'était la mode, à la cour, de trahir ses amis par intérêt ; de faire bonne mine
à ceux que l'on haïssait, et de mentir à tout moment. Il fallait être sérieuse,
parce qu'on lui disait qu'une reine doit avoir un air grave et majestueux. Elle
eut plusieurs enfants ; et pendant tout ce temps, elle avait un médecin auprès
d'elle, qui examinait tout ce qu'elle mangeait, et lui ôtait toutes les choses
qu'elle aimait. On ne mettait point de sel dans ses bouillons ; on lui défendait
de se promener, quand elle en avait envie ; en un mot, elle était contredite
depuis le matin jusqu'au soir. On donna des gouvernantes à ses enfants, qui les
élevaient tout de travers, sans qu'elle eût la liberté d'y trouver à redire. La
pauvre Blanche se mourait de chagrin, et elle devint si maigre, qu'elle faisait
pitié à tout le monde. Elle n'avait pas vu sa soeur, depuis trois ans qu'elle
était reine, parce qu'elle pensait qu'une personne de son rang serait
déshonorée, d'aller rendre visite à une fermière ; mais, se voyant accablée de
mélancolie, elle résolut d'aller passer quelques jours à la campagne, pour se
désennuyer. Elle en demanda la permission au roi, qui la lui accorda de bon
coeur, parce qu'il pensait qu'il serait débarrassé d'elle pendant quelque temps.
Elle arriva sur le soir à la ferme de Vermeille, et elle vit de loin, devant la
porte, une troupe de bergers et de bergères, qui dansaient et se divertissaient
de tout leur coeur.
« Hélas ! dit la reine, en soupirant, où est le temps que je me divertissais
comme ces pauvres gens ? Personne n'y trouvait à redire. »
D'abord qu'elle parut, sa soeur accourut pour l'embrasser. Elle avait un air si
content, elle était si fort engraissée, que la reine ne put s'empêcher de
pleurer en la regardant. Vermeille avait épousé un jeune paysan, qui n'avait pas
de fortune, mais il se souvenait toujours que sa femme lui avait donné tout ce
qu'il avait, et il cherchait par ses manières complaisantes à lui en marquer sa
reconnaissance. Vermeille n'avait pas beaucoup de domestiques, mais ils
l'aimaient, comme s'ils eussent été ses enfants, parce qu'elle les traitaient
bien. Tous ses voisins l'aimaient aussi, et chacun s'empressait à lui en donner
des preuves. Elle n'avait pas beaucoup d'argent, mais elle n'en avait pas besoin
; car elle recueillait dans ses terres, du blé, du vin et de l'huile. Ses
troupeaux lui fournissaient du lait, dont elle faisait du beurre et du fromage.
Elle filait la laine de ses moutons pour se faire des habits, aussi bien qu'à
son mari, et à deux enfants qu'elle avait. Ils se portaient à merveille, et le
soir, quand le temps du travail était passé, ils se divertissaient à toutes
sortes de jeux.
« Hélas ! s'écria la reine, la fée m'a fait un mauvais présent, en me donnant
une couronne. On ne trouve point la joie dans les palais magnifiques, mais dans
les occupations innocentes de la campagne. » A peine eut-elle dit ces paroles,
que la fée parut.
« Je n'ai pas prétendu vous récompenser, en vous faisant reine, lui dit la fée,
mais vous punir, parce que vous m'aviez donné vos prunes à contrecoeur. Pour
être heureux, il faut comme votre soeur, ne posséder que les choses nécessaires,
et n'en point souhaiter davantage.
- Ah ! madame, s'écria Blanche, vous vous êtes assez ...
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