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LEPRINCE DE BEAUMONT JEANNE-MARIE
Title:LE PRINCE TITY
Subject:FRENCH FICTION
Jeanne-Marie LEPRINCE DE BEAUMONT
Le Prince Tity
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Il y avait une fois un roi, nommé Guinguet, qui était fort avare. Il voulut se
marier ; mais il ne se souciait pas d'avoir une belle princesse, il voulait
seulement qu'elle eût beaucoup d'argent, et qu'elle fût plus avare que lui. Il
en trouva une, telle qu'il la souhaitait. Elle eut un fils qu'on nomma Tity, et
une autre année, elle eut encore un autre fils, qu'on nomma Mirtil. Tity était
bien plus beau que son frère, mais le roi et la reine ne le pouvaient souffrir,
parce qu'il aimait à partager tout ce qu'on lui donnait avec les autres enfants,
qui venaient jouer avec lui. Pour Mirtil, il aimait mieux laisser gâter ses
bonbons, que d'en donner à personne : il enfermait ses jouets, crainte de les
user, et quand il tenait quelque chose dans sa main, il la serrait si fort,
qu'on ne pouvait la lui arracher, même pendant qu'il dormait. Le roi et sa femme
étaient fous de cet enfant, parce qu'il leur ressemblait. Les princes devinrent
grands, et de peur que Tity ne dépensât son argent, on ne lui donnait pas un
sol. Un jour que Tity était à la chasse, un de ses écuyers qui courait à cheval
passa auprès d'une vieille femme et la jeta dans la boue : la vieille criait
qu'elle avait la jambe cassée ; mais l'écuyer n'en faisait que rire. Tity, qui
avait un bon coeur, gronda son écuyer, et s'approchant de la vieille avec
l'Eveillé qui était son page favori, il aida à la vieille à se relever, et
l'ayant prise chacun par un bras, ils la conduisirent dans une petite cabane, où
elle demeurait. Le prince alors fut au désespoir de n'avoir point d'argent pour
donner à cette femme :
« A quoi me sert-il d'être prince, disait-il, puisque je n'ai pas la liberté de
pouvoir faire du bien ? Il n'y a de plaisir à être un grand seigneur, que parce
qu'on a le pouvoir de soulager les misérables. »
L'Eveillé, qui entendit parler le prince ainsi, lui dit :
« J'ai un écu pour tout bien et il est à votre service.
- Je vous récompenserai, quand je serai roi, dit Tity ; j'accepte votre écu pour
donner à cette pauvre femme. »
Tity étant retourné à la cour, la reine le gronda de ce qu'il avait aidé à cette
pauvre femme à se relever.
« Le grand malheur quand cette vieille femme serait morte ! dit-elle à son fils
(car les avares sont impitoyables), il fait beau voir un prince s'abaisser
jusqu'à secourir une misérable gueuse !
- Madame, lui dit Tity, je croyais que les princes n'étaient jamais plus grands,
que quand ils faisaient du bien.
- Allez, lui dit la reine, vous êtes un extravagant avec cette belle façon de
penser. »
Le lendemain, Tity fut encore à la chasse ; mais c'était pour voir comment cette
femme se portait. Il la trouva guérie, et elle le remercia de la charité qu'il
avait eue pour elle.
« J'ai encore une grâce à vous demander, lui dit-elle, j'ai des noisettes et des
nèfles qui sont excellentes, je vous prie de me faire la grâce d'en manger
quelques-unes. »
Le prince ne voulut pas refuser cette bonne femme, de crainte qu'elle ne crût
que c'était par mépris ; il goûta donc ces noisettes et ces nèfles, et il les
trouva excellentes.
« Puisque vous les trouvez si bonnes, dit la vieille, faites-moi le plaisir
d'emporter le reste pour votre dessert. »
Pendant que la vieille disait cela, une poule qu'elle avait se mit à chanter, et
la vieille pria le prince de si bonne grâce d'emporter aussi cet oeuf, qu'il le
prit par complaisance ; mais en même temps, il donna quatre guinées à la
vieille, car l'Eveillé lui avait donné cette somme, qu'il avait empruntée à son
père, qui était un gentilhomme de campagne. Quand le prince fut à son palais, il
commanda qu'on lui donnât l'oeuf, les nèfles et les noisettes de la bonne femme
pour son souper mais quand il eut cassé l'oeuf, il fut bien étonné de trouver
dedans un gros diamant; les nèfles et les noisettes étaient aussi remplies de
diamants. Quelqu'un fut dire cela à la reine, qui courut à l'appartement de
Tity, et qui fut si charmée de voir ces diamants, qu'elle l'embrassa et l'appela
son cher fils pour la première fois de sa vie.
« Voulez-vous bien me donner ces diamants ? dit-elle à son fils.
- Tout ce que j'ai est à votre service, lui dit le prince.
- Allez, vous êtes un bon garçon, lui dit la reine, je vous récompenserai. »
Elle emporta donc ce trésor, et elle envoya au prince quatre guinées, pliées
bien proprement dans un petit morceau de papier. Ceux qui virent ce présent
voulurent se moquer de la reine, qui n'était pas honteuse d'envoyer quatre
guinées pour des diamants, qui valaient plus de cinq cent mille guinées ; mais
le prince les chassa hors de sa chambre, en leur disant qu'ils étaient fort bien
hardis de manquer de respect à sa mère. Cependant la reine dit à Guinget, «
apparemment que cette vieille, que Tity a relevée, est une grande fée, il faut
l'aller voir demain ; mais au lieu d'y mener Tity, nous mènerons son frère, car
je ne veux pas qu'elle s'attache trop à ce benêt, qui n'a pas eu l'esprit de
garder ses diamants ». En même temps, elle ordonna qu'on nettoyât les carrosses,
et qu'on louât des chevaux ; car elle avait fait vendre ceux du roi, parce qu'il
coûtaient trop a nourrir. On fit emplir deux de ces carrosses de médecins,
chirurgiens, apothicaires, et la famille royale se mit dans l'autre. Quand ils
furent arrivés à la cabane de la vieille, la reine lui dit qu'elle venait lui
demander excuse de l'étourderie de l'écuyer de Tity. « C'est que mon fils n'a
pas l'esprit de choisir de bons domestiques, dit-elle à la bonne femme ; mais je
le forcerai de chasser ce brutal. » Ensuite, elle dit à la vieille qu'elle avait
mené avec elle les plus habiles gens de son royaume pour guérir son pied. Mais
la bonne femme lui dit que son pied allait fort bien, et qu'elle lui était
obligée de la charité qu'elle avait, de visiter une pauvre femme comme elle.
« Oh, vraiment, lui dit la reine, nous savons bien que vous êtes une grande fée,
car vous avez donné au prince Tity une grande quantité de diamants.
- Je vous assure, madame, dit la vieille, que je n'ai donné au prince qu'un
oeuf, des nèfles et des noisettes, j'en ai encore au service de Votre Majesté.
- Je les accepte de bon coeur », dit la reine, qui était charmée de l'espérance
d'avoir des diamants.
Elle reçut le présent, caressa la vieille, la pria de la venir voir, et tous les
courtisans, à l'exemple du roi et de la reine, donnèrent de grandes louanges à
cette bonne femme. La reine lui demanda, quel âge elle avait.
" J'ai soixante ans, répondit-elle.
- Vous n'en paraissez pas quarante, dit la reine, et vous pouvez encore vous
marier, car vous êtes fort aimable."
Le prince Mirtil, qui était fort mal élevé, se mit à rire au nez de la vieille à
ce discours, et lui dit qu'il aurait bien du plaisir de danser à sa noce : mais
la bonne femme ne fit pas semblant de voir qu'il se moquait d'elle. Toute la
cour partit, et la reine ne fut pas plutôt arrivée dans son palais, qu'elle fit
cuire l'oeuf, et cassa les noix et les nèfles ; mais au lieu de trouver un
diamant dans l'oeuf, elle n'y trouva qu'un petit poulet, et les noix et les
nèfles étaient pleines de vers. Aussitôt, la voilà dans une colère épouvantable.
" Cette vieille est une sorcière, dit-elle, qui a voulu se moquer de moi, je
veux la faire mourir. " Elle assembla donc les juges pour faire le procès à la
vieille femme, mais l'Eveillé, qui avait entendu tout cela, courut à la cabane,
pour lui dire de se sauver.
« Bonjour, le page aux vieilles », lui dit-elle ; car on lui avait donné ce nom,
depuis qu'il avait aidé à la tirer de la boue.
« Ah ! ma bonne mère, lui dit l'Eveillé, hâtez vous de vous sauver dans la
maison de mon père ; c'est un très honnête homme, il vous cachera de ...
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