|
|
ANDERSEN HANS CHRISTIAN
Title:OLE FERME L'OEIL
Subject:OTHER LITERATURES
Hans Christian ANDERSEN
Ole Ferme l'Oeil
**********
Dans le monde entier, il n'est personne qui sache autant d'histoires que Ole
Ferme-l'Oeil. Lui, il sait raconter...
Vers le soir, quand les enfants sont assis sagement à table ou sur leur petit
tabouret, Ole Ferme-l'Oeil arrive, il monte sans bruit l'escalier - il marche
sur ses bas - il ouvre doucement la porte et pfutt ! il jette du lait doux dans
les yeux des enfants, un peu seulement, mais assez cependant pourqu'ils ne
puissent plus tenir les yeux ouverts ni par conséquent le voir ; il se glisse
juste derrière eux et leur souffle dans la nuque, alors leur tête devient
lourde, lourde - mais ça ne fait aucun mal, car Ole Ferme-l'Oeil ne veut que du
bien aux enfants - il veut seulement qu'ils se tiennent tranquilles, et ils le
sont surtout quand on les a mis au lit.
Quand les enfants dorment, Ole Ferme-l'Oeil s'assied sur leur lit. Il est bien
habillé, son habit est de soie, mais il est impossible d'en dire la couleur, il
semble vert, rouge ou bleu selon qu'il se tourne, il tient un parapluie sous
chaque bras, l'un décoré d'images et celui-là il l'ouvre au-dessus des enfants
sages qui rêvent alors toute la nuit des histoires ravissantes, et sur l'autre
parapluie il n'y a rien. Il l'ouvre au-dessus des enfants méchants, alors ils
dorment si lourdement que le matin en s'éveillant ils n'ont rien rêvé du tout.
Et maintenant nous allons vous dire comment Ole Ferme-l'Oeil, durant toute une
semaine, vint tous les soirs chez un petit garçon qui s'appelait Hjalmar. Cela
fait en tout sept histoires puisqu'il y a sept jours dans la semaine.
LUNDI
- Ecoute un peu, dit Ole Ferme-l'Oeil le soir lorsqu'il eut mis Hjalmar au lit,
maintenant je vais décorer ta chambre. Et voilà que toutes les fleurs en pots
devinrent de grands arbres étendant leurs branches jusqu'au plafond et le long
des murs, de sorte que la pièce avait l'air d'une jolie tonnelle. Toutes les
branches étaient couvertes de fleurs chacune plus belle qu'une rose embaumant
délicieusement, et s'il vous prenait envie de la manger, elle était plus sucrée
que de la confiture. Les fruits brillaient comme de l'or et il y avait aussi des
petits pains mollets, bourrés de raisins, c'était merveilleux. Mais tout à coup,
des gémissements lamentables se firent entendre dans le tiroir de la table où
Hjalmar rangeait ses livres de classe.
- Qu'est-ce que c'est ? dit Ole.
Il alla vers la table, ouvrit le tiroir. C'était l'ardoise qui se trouvait mal
parce qu'un chiffre faux s'était introduit dans le calcul, le crayon d'ardoise
sautait et s'agitait au bout de sa ficelle comme s'il était un petit chien, il
aurait voulu corriger le calcul mais il n'y arrivait pas. Et puis il y avait le
cahier d'écriture de Hjalmar, il se lamentait en dedans que ça faisait mal de
l'entendre ! Sur chaque page il y avait des lettres majuscules modèles, chacune
avec une petite lettre à côté d'elle formant une rangée modèle du haut en bas,
et à côté de celles-là, il y en avait qui croyaient être semblables aux modèles,
c'étaient celles que Hjalmar avait écrites, celles-là allaient tout de travers
comme si elles avaient trébuché sur le trait de crayon où elles auraient dû se
poser.
- Regardez ! Voilà comment il faut vous tenir, disait le modèle, comme ça, à
côté de moi, d'un seul trait.
- Oh ! nous voudrions bien, disaient les lettres de Hjalmar, mais nous n'y
arrivons pas, nous sommes très malades.
- Alors, il faut vous purger, disait Ole Ferme-l'Oeil.
- Oh ! non, non, criaient-elles.
Et les voilà debout toutes droites que c'en était un plaisir de les voir.
- Mais maintenant nous n'allons pas raconter d'histoire, dit Ole Ferme-l'Oeil.
Il faut que je leur fasse faire l'exercice !
Un deux, un deux ! et il fit faire l'exercice aux lettres. Elles se tenaient
aussi droites, étaient aussi bien constituées que n'importe quel modèle, mais
une fois Ole Ferme-l'Oeil parti, quand Hjalmar alla les voir, elles étaient
aussi lamentables qu'auparavant.
MARDI
Aussitôt que Hjalmar fut au lit, Ole Ferme-l'Oeil toucha de sa petite seringue
magique tous les meubles de la chambre, aussitôt ils se mirent tous à bavarder,
mais ils ne parlaient que d'eux-mêmes, sauf le crachoir qui restait muet mais
s'irritait de les voir si vaniteux, ne s'occupant que d'eux mêmes, ne pensant
qu'à eux-mêmes et n'ayant pas la plus petite pensée pour lui qui, modestement,
restait dans son coin et tolérait qu'on lui crache dessus.
Au-dessus de la commode était suspendue une grande peinture dans un cadre doré,
on y voyait un paysage avec de grands vieux arbres, des fleurs dans l'herbe, une
pièce d'eau et une rivière qui coulait derrière le bois, passait devant de
nombreux châteaux et se jetait au loin dans la mer libre.
Ole Ferme-l'Oeil toucha le tableau de sa seringue, alors les oiseaux peints
commencèrent à chanter, les branches des arbres ondulèrent et les nuages
coururent dans le ciel, on pouvait voir leur ombre se déplacer sur le paysage.
Ole Ferme-l'Oeil souleva Hjalmar jusqu'au cadre et le petit garçon posa ses
jambes dans la peinture et le voilà debout dans l'herbe haute, le soleil
brillait sur lui à travers la ramure.
Il courut jusqu'à l'eau, s'assit dans la barque peinte en rouge et blanc, les
voiles brillaient comme de l'argent et six cygnes portant chacun un collier d'or
autour du cou et une étoile bleue étincelante sur la tête, tiraient le bateau au
long de la verte forêt où les arbres parlaient de brigands et de sorcières et
les fleurs de ravissants petits elfes et de ce que les papillons leur avaient
raconté.
De beaux poissons aux écailles d'or et d'argent nageaient derrière la barque, de
temps en temps ils faisaient un saut et l'eau clapotait, les oiseaux rouges et
blancs, grands et petits, volaient derrière en deux longues rangées, les
moustiques dansaient, les hannetons bourdonnaient, ils voulaient tous
accompagner Hjalmar et ils avaient tous une histoire à raconter.
Ah ! ce fut une belle promenade en bateau ! Par moments, les bois étaient épais
et sombres, puis ils devenaient des jardins ensoleillés et fleuris, avec de
grands châteaux de cristal et de marbre. Sur les balcons se tenaient des
princesses qui étaient toutes des petites filles connues de Hjalmar avec
lesquelles il avait déjà joué. Elles étendaient la main et tendaient chacune le
petit cochon de sucre le plus exquis qu'aucun confiseur n'eût jamais vendu.
Hjalmar au passage saisissait par un bout le petit cochon, la petite fille
tenait ferme de l'autre, en sorte que chacun en avait un morceau, elle le plus
petit, Hjalmar de beaucoup le plus gros.
Devant chaque château de petits princes montaient la garde, ils portaient armes
avec des sabres d'or et faisaient pleuvoir des raisins secs et des soldats de
plomb. C'étaient de véritables princes !
Hjalmar naviguait tantôt à travers des forêts, tantôt à travers d'immenses
salles ou à travers une ville. Il lui arriva même de traverser la ville où
habitait sa bonne d'enfant, celle qui le portait dans ses bras quand il était
tout petit et qui l'aimait tant. Elle lui fit des signes et lui sourit et chanta
cet air charmant qu'elle avait, elle-même, composé pour lui :
Je pense à toi à toute heure
Mon cher petit Hjalmar chéri.
C'est moi qui baisais ta petite bouche
Et aussi ton front, tes joues vermeilles.
Je t'ai entendu dire tes premiers mots
Et puis il a fallu te quitter.
Que Notre-Seigneur te bénisse ici-bas
Mon bel ange descendu des cieux.
Tous les oiseaux chantaient avec elle, les fleurs dansaient sur leur tige et les
vieux arbres dodelinaient de la tête comme si Ole Ferme-l'Oeil eût aussi, pour
eux, raconté cette histoire.
MERCREDI
Oh ! comme la pluie tombait au-dehors. Hjalmar l'entendait même dans son sommeil
et quand Ole Ferme-l'Oeil entrouvrit une fenêtre, il vit que l'eau montait
jusqu'au ras du chambranle. Un vrai lac. Mais un magnifique navire mouillait
devant la maison.
- Viens-tu avec nous, petit Hjalmar ? dit Ole Ferme-l'Oeil. Tu pourras voyager
cette nuit dans les pays étrangers et être de retour demain matin.
Et voilà Hjalmar, dans son costume du dimanche, debout sur le magnifique navire.
Le temps devint aussitôt radieux. Ils naviguèrent de par les rues, croisèrent
devant l'église et ...
|
|
|