|
|
ANDERSEN HANS CHRISTIAN
Title:LE VILAIN PETIT CANARD
Subject:OTHER LITERATURES
Hans Christian ANDERSEN
Le vilain petit canard
************
Comme il faisait bon dans la campagne! C'était l'été. Les blés étaient dorés,
l'avoine verte, les foins coupés embaumaient, ramassés en tas dans les prairies,
et une cigogne marchait sur ses jambes rouges, si fines et si longues et
claquait du bec en égyptien (sa mère lui avait appris cette langue-là).
Au-delà, des champs et des prairies s'étendaient, puis la forêt aux grands
arbres, aux lacs profonds.
En plein soleil, un vieux château s'élevait entouré de fossés, et au pied des
murs poussaient des bardanes aux larges feuilles, si hautes que les petits
enfants pouvaient se tenir tout debout sous elles. L'endroit était aussi sauvage
qu'une épaisse forêt, et c'est là qu'une cane s'était installée pour couver.
Elle commençait à s'ennuyer beaucoup. C'était bien long et les visites étaient
rares les autres canards préféraient nager dans les fossés plutôt que de
s'installer sous les feuilles pour caqueter avec elle.
Enfin, un oeuf après l'autre craqua. « Pip, pip », tous les jaunes d'oeufs
étaient vivants et sortaient la tête.
- Coin, coin, dit la cane, et les petits se dégageaient de la coquille et
regardaient de tous côtés sous les feuilles vertes. La mère les laissait ouvrir
leurs yeux très grands, car le vert est bon pour les yeux.
- Comme le monde est grand, disaient les petits.
Ils avaient bien sûr beaucoup plus de place que dans l'oeuf.
- Croyez-vous que c'est là tout le grand monde ? dit leur mère, il s'étend bien
loin, de l'autre côté du jardin, jusqu'au champ du pasteur - mais je n'y suis
jamais allée.
« Etes-vous bien là, tous ? » Elle se dressa. « Non, le plus grand oeuf est
encore tout entier. Combien de temps va-t-il encore falloir couver ? J'en ai
par-dessus la tête. »
Et elle se recoucha dessus.
- Eh bien! comment ça va ? demanda une vieille cane qui venait enfin rendre
visite.
- Ça dure et ça dure, avec ce dernier oeuf qui ne veut pas se briser. Mais
regardez les autres, je n'ai jamais vu des canetons plus ravissants. Ils
ressemblent tous à leur père, ce coquin, qui ne vient même pas me voir.
- Montre-moi cet oeuf qui ne veut pas craquer, dit la vieille. C'est, sans
doute, un oeuf de dinde, j'y ai été prise moi aussi une fois, et j'ai eu bien du
mal avec celui-là. Il avait peur de l'eau et je ne pouvais pas obtenir qu'il y
aille. J'avais beau courir et crier. Fais-moi voir. Oui, c'est un oeuf de dinde,
sûrement. Laisse-le et apprends aux autres enfants à nager.
- Je veux tout de même le couver encore un peu, dit la mère. Maintenant que j'y
suis depuis longtemps.
- Fais comme tu veux, dit la vieille, et elle s'en alla.
Enfin, l'oeuf se brisa.
- Pip, pip, dit le petit en roulant dehors.
Il était si grand et si laid que la cane étonnée, le regarda.
- En voilà un énorme caneton, dit-elle, aucun des autres ne lui ressemble. Et si
c'était un dindonneau, eh bien, nous allons savoir ça au plus vite.
Le lendemain, il faisait un temps splendide. La cane avec toute la famille
S'approcha du fossé. Plouf ! elle sauta dans l'eau. Coin ! coin !
commanda-t-elle, et les canetons plongèrent l'un après l'autre, même l'affreux
gros gris.
- Non, ce n'est pas un dindonneau, s'exclama la mère. Voyez comme il sait se
servir de ses pattes et comme il se tient droit. C'est mon petit à moi. Il est
même beau quand on le regarde bien. Coin ! coin : venez avec moi, je vous
conduirai dans le monde et vous présenterai à la cour des canards. Mais tenez-
vous toujours près de moi pour qu'on ne vous marche pas dessus, et méfiez-vous
du chat.
Ils arrivèrent à l'étang des canards où régnait un effroyable vacarme. Deux
familles se disputaient une tête d'anguille. Ce fut le chat qui l'attrapa.
- Ainsi va le monde ! dit la cane en se pourléchant le bec.
Elle aussi aurait volontiers mangé la tête d'anguille.
- Jouez des pattes et tâchez de vous dépêcher et courbez le cou devant la
vieille cane, là-bas, elle est la plus importante de nous tous. Elle est de sang
espagnol, c'est pourquoi elle est si grosse. Vous voyez qu'elle a un chiffon
rouge à la patte, c'est la plus haute distinction pour un canard. Cela signifie
qu'on ne veut pas la manger et que chacun doit y prendre garde. Ne mettez pas
les pattes en dedans, un caneton bien élevé nage les pattes en dehors comme père
et mère. Maintenant, courbez le cou et faites coin !
Les petits obéissaient, mais les canards autour d'eux les regardaient et
s'exclamaient à haute voix :
- Encore une famille de plus, comme si nous n'étions pas déjà assez. Et il y en
a un vraiment affreux, celui-là nous n'en voulons pas.
Une cane se précipita sur lui et le mordit au cou.
- Laissez le tranquille, dit la mère. Il ne fait de mal à personne.
- Non, mais il est trop grand et mal venu. Il a besoin d'être rossé.
- Elle a de beaux enfants, cette mère ! dit la vieille cane au chiffon rouge,
tous beaux, à part celui-là : il n'est guère réussi. Si on pouvait seulement
recommencer les enfants ratés !
- Ce n'est pas possible, Votre Grâce, dit la mère des canetons ; il n'est pas
beau mais il est très intelligent et il nage bien, aussi bien que les autres,
mieux même. J'espère qu'en grandissant il embellira et qu'avec le temps il sera
très présentable.
Elle lui arracha quelques plumes du cou, puis le lissa :
- Du reste, c'est un mâle, alors la beauté n'a pas tant d'importance.
- Les autres sont adorables, dit la vieille. Vous êtes chez vous, et si vous
trouvez une tête d'anguille, vous pourrez me l'apporter.
Cependant, le pauvre caneton, trop grand, trop laid, était la risée de tous. Les
canards et même les poules le bousculaient. Le dindon - né avec des éperons - et
qui se croyait un empereur, gonflait ses plumes comme des voiles. Il se
précipitait sur lui en poussant des glouglous de colère. Le pauvre caneton ne
savait où se fourrer. La fille de basse-cour lui donnait des coups de pied. Ses
frères et soeurs, eux-mêmes, lui criaient :
- Si seulement le chat pouvait te prendre, phénomène !
Et sa mère :
- Si seulement tu étais bien loin d'ici !
C'en était trop ! Le malheureux, d'un grand effort s'envola par- dessus la haie,
les petits oiseaux dans les buissons se sauvaient à tire d'aile.
«Je suis si laid que je leur fais peur», pensa-t-il en fermant les yeux.
Il courut tout de même jusqu'au grand marais où vivaient les canards sauvages.
Il tombait de fatigue et de chagrin et resta là toute la nuit.
Au matin, les canards en voyant ce nouveau camarade s'écrièrent :
- Qu'est-ce que c'est que celui-là ?
Notre ami se tournait de droite et de gauche, et saluait tant qu'il pouvait.
- Tu es affreux, lui dirent les canards sauvages, mais cela nous est bien égal
pourvu que tu n'épouses personne de notre famille.
Il ne songeait guère à se marier, le pauvre ! Si seulement on lui permettait de
coucher dans les roseaux et de boire l'eau du marais.
Il resta là deux jours. Vinrent deux oies sauvages, deux jars plutôt, car
c'étaient des mâles, il n'y avait pas longtemps qu'ils étaient sortis de l'oeuf
et ils étaient très désinvoltes.
- Ecoute, camarade, dirent-ils, tu es laid, mais tu nous plais. Veux-tu venir
avec nous et devenir oiseau migrateur ? Dans un marais à côté il y a quelques
charmantes oiselles sauvages, toutes demoiselles bien capables de dire coin,
coin (oui, oui), et laid comme tu es, je parie que tu leur plairas.
Au même instant, il entendit Pif ! Paf !, les deux jars tombèrent raides morts
dans les roseaux, l'eau devint rouge de leur sang. Toute la troupe s'égailla et
les fusils claquèrent de nouveau.
Des chasseurs passaient, ils cernèrent le marais, il y en avait même grimpés
dans les arbres. Les chiens de chasse couraient dans la vase. Platch ! Platch !
Les roseaux volaient de tous côtés ; le pauvre caneton, épouvanté, essayait de
cacher sa tête sous son aile quand il vit un immense chien terrifiant, la langue
pendante, les yeux étincelants. Son museau, ses dents pointues étaient déjà
prêts à le saisir quand - Klap ! il partit sans le toucher.
- Oh! Dieu merci! je suis si laid que même le chien ne ...
|
|
|