GRIMM BRÜDER

Title:HANS-MON-HÉRISSON
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


Hans-mon-Hérisson



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Il était une fois un paysan qui avait de l'argent et des biens en suffisance, et
même plus, qu'il n'en fallait ; mais aussi riche qu'il fût, il manquait pourtant
quelque chose à son bonheur, car ils n'avaient, sa femme et lui, pas eu
d'enfant. Il en souffrait, et comme il arrivait souvent que les autres paysans,
quand il allait avec eux à la ville voisine, se moquaient de lui et lui
demandaient pourquoi il n'avait toujours pas d'enfant, il finit par le prendre
mal et un jour, quand il revint chez lui, il s'emporta et dit :
- Je veux un enfant, j'en veux un, même si ce doit être un hérisson !
Par la suite, sa femme mit au monde un enfant qui était mi-hérisson, mi-homme :
le haut du corps en hérisson, le bas constitué normalement. Sa mère en fut
épouvantée quand elle le vit et s'exclama :
- Là, tu vois ! tu nous as jeté un mauvais sort !
- Qu'est-ce que cela change à présent ? répondit le mari. Le petit doit quand
même être baptisé ; mais comment trouver quelqu'un qui veuille être le parrain ?

- Hans-mon-Hérisson, ce sera le seul nom qu'on pourra lui donner, dit la femme.
Le prêtre, après l'avoir baptisé, remarqua qu'il ne pouvait pas être couché dans
un lit ordinaire, à cause de ses piquants. Ils lui firent une couche de paille
derrière le fourneau, et ce fut là que le petit Hans-mon-Hérisson resta couché.
Sa mère ne pouvait pas non plus lui donner le sein comme à un autre enfant,
parce que ses piquants lui déchiraient la poitrine. Et Hans-mon-Hérisson resta
derrière le fourneau pendant huit années de suite. Son père en était las, au
point de penser : « Ah ! si seulement il pouvait mourir ! » Mais non, il ne
mourait pas ; il était toujours là, couché derrière le fourneau.
Un jour qu'il y avait foire à la ville, le paysan décida d'y aller, et avant de
partir il demanda à sa femme ce qu'elle voulait qu'il lui rapporte. « Un peu de
viande, lui dit-elle, et quelques brioches ; enfin, tu sais bien ce qu'il faut
pour la maison. » Il fit la même question à la servante, qui voulait, elle, une
paire de bas à jours et des chaussons. Enfin, il demanda aussi à
Hans-mon-Hérisson ce qu'il aimerait avoir.
- Papa, répondit-il, je voudrais que tu me rapportes une cornemuse.
En revenant de la foire, le paysan donna à sa femme ce qu'il avait acheté pour
elle: la viande et les brioches ; il donna ensuite à la servante ses bas et ses
pantoufles, et enfin il se pencha derrière le fourneau et donna à
Hans-mon-Hérisson sa cornemuse. Et Hans-mon-Hérisson, quand il eut en main sa
cornemuse, dit à son père :
- Papa, tu devrais maintenant aller devant la forge et m'y faire ferrer mon coq
; alors je l'enfourcherai et je m'en irai pour ne plus revenir.
Le père, content d'être débarrassé, alla faire ferrer le coq aussitôt ; quand ce
fut fini, Hans-mon-Hérisson se mit à califourchon sur le coq et partit en le
chevauchant, non sans emmener avec lui des cochons et des ânes qu'il voulait
garder au loin, dans la forêt. Lorsque le coq et son étrange cavalier furent
dans la forêt, le coq dut s'envoler avec lui au sommet d'un grand arbre et s'y
tenir perché, portant toujours Hans-mon-Hérisson sur son dos, où il resta
pendant des années à garder, de là-haut, ses ânes et ses cochons, dont le nombre
augmentait sans cesse, et qui lui firent un grand troupeau. Pendant tout ce
temps-là, son père n'entendit pas parler de lui. Installé sur son arbre, Hans
soufflait dans sa cornemuse et se faisait de la musique pour se passer le temps
; et sa musique était fort belle.
Un jour, il arriva qu'un roi s'était perdu dans la forêt et s'étonna beaucoup
d'entendre cette jolie musique, sans savoir d'où elle pouvait venir. Il envoya
quelqu'un de sa suite en avant, pour qu'il regarde un peu d'où cela pouvait bien
sortir ; mais tout ce qu'il put voir, en regardant partout alentour, c'était un
drôle d'animal perché tout en haut d'un arbre, quelque chose comme un coq, sur
lequel un hérisson se serait mis, et qui jouait de la musique. Ayant entendu son
rapport, le roi renvoya son messager lui demander pourquoi il se trouvait perché
là-haut, et s'il ne pourrait pas lui indiquer le chemin qui lui permettrait de
regagner son royaume. Hans-mon-Hérisson descendit alors de son arbre et déclara
qu'il montrerait le chemin si le roi voulait lui promettre, et s'y engager par
écrit, de lui accorder le premier être vivant qu'il rencontrerait en arrivant
dans sa cour royale.
Le roi se dit : « Je peux facilement le faire : Hans-mon-Hérisson ne pouvant pas
comprendre, j'écrirai ce qu'il me plaira. » Le roi prit donc une plume et de
l'encre pour écrire quelque chose, et cela fait, Hans-mon-Hérisson lui montra le
bon chemin, qui lui permit de rentrer heureusement chez lui. Mais sa fille, qui
l'avait aperçu de loin, fut si contente de le revoir qu'elle accourut à sa
rencontre et se jeta à son cou pour l'embrasser. Le roi se ressouvint alors de
Hans-mon-Hérisson, et il raconta l'aventure à sa fille et comment il avait dû
donner à un étrange animal un engagement par écrit, qui lui attribuait le
premier être vivant qu'il verrait en arrivant au palais ; et comment cet animal
était comme à cheval sur un coq, jouant une fort belle musique ; mais il ajouta
bien vite qu'il avait écrit le contraire, à savoir qu'il n'aurait rien ni
personne, parce que ce Hans-mon-Hérisson ne savait heureusement pas lire. La
princesse s'en montra ravie et déclara que, de toute façon, jamais elle n'eût
accepté d'aller là-bas.
Hans-mon-Hérisson n'en continuait pas moins de garder ses ânes et ses cochons,
toujours gai et plein d'entrain, perché sur l'arbre et se faisant de la jolie
musique en soufflant dans sa cornemuse. Et puis voilà qu'un autre roi vint à
passer par là avec son escorte et toute sa suite ; il s'était perdu lui aussi et
ne savait plus par où retourner dans son royaume, car la forêt était très, très
grande. Il entendit également la belle musique de loin et envoya quelqu'un pour
voir ce que cela pouvait bien être. Le messager arriva jusqu’au dessous de
l'arbre et vit le coq perché et Hans-mon-Hérisson assis dessus à califourchon.
Le messager du roi s'enquit de ce qu'il faisait là.
- Je garde mes cochons et mes ânes, répondit-il. Mais vous, que désirez-vous ?
Le messager lui expliqua qu'ils étaient perdus et ne parvenaient pas à revenir
dans leur royaume, à moins qu'il ne voulût bien leur indiquer le chemin. Alors
Hans-mon-Hérisson descendit de son arbre et dit au vieux roi qu'il lui
montrerait le chemin, à condition qu'il consentît à lui donner en propre ce
qu'il verrait en premier dès qu'il serait chez lui, à la porte de son château
royal.
- Oui, déclara le roi, et voici mon accord.
Il écrivit et signa à Hans-mon-Hérisson l'engagement qu'il aurait comme sien ce
que lui, le roi, aurait vu en premier devant son palais.
La chose faite, Hans-mon-Hérisson monta son coq et chevaucha devant le roi,
suivi de ses gens, pour leur montrer le chemin ; et grâce à lui ils rentrèrent
heureusement dans le royaume et arrivèrent au château, où la joie fut grande
après l'inquiétude. Le roi avait une fille unique qui était d'une grande beauté,
et ce fut elle qui se précipita pour l'accueillir et l'embrasser, tout heureuse
de son retour.
- Mais comment se fait-il que vous soyez resté si longtemps au loin ? lui
demanda-t-elle.
Le roi lui raconta qu'il s'était perdu et que, pour un peu, jamais il n'eût pu
rentrer, s'il n'avait eu la chance de rencontrer un drôle d'être, mi-hérisson
mi-homme, qui chevauchait un coq perché à la pointe d'un arbre, au coeur de
l'immense forêt, et qui jouait une belle musique ; car c'était lui qui l'avait
tiré de là en lui montrant le bon chemin. Mais il ajouta qu'il avait promis à
cet être sa première rencontre dans la cour du château, et qu'il le ...