GRIMM BRÜDER

Title:LA MORT POUR PARRAIN
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


LA MORT POUR PARRAIN



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Il était une fois un homme pauvre qui avait douze enfants. Pour les nourrir, il
lui fallait travailler jour et nuit. Quand le treizième vint au monde, ne
sachant plus comment faire, il partit sur la grand-route dans l'intention de
demander au premier venu d'en être le parrain. Le premier qu'il rencontra fut le
Bon Dieu. Celui-ci savait déjà ce que l'homme avait sur le coeur et il lui dit :

- Brave homme, j'ai pitié de toi ; je tiendrai ton fils sur les fonts
baptismaux, m'occuperai de lui et le rendrai heureux durant sa vie terrestre.
L'homme demanda :
- Qui es-tu ?
- Je suis le Bon Dieu.
- Dans ce cas, je ne te demande pas d'être parrain de mon enfant, dit l'homme.
Tu donnes aux riches et tu laisses les pauvres mourir de faim. (L'homme disait
cela parce qu'il ne savait pas comment Dieu partage richesse et pauvreté.)
Il prit donc congé du Seigneur et poursuivit sa route. Le Diable vint à sa
rencontre et dit :
- Que cherches-tu ? Si tu me prends pour parrain de ton fils, je lui donnerai de
l'or en abondance et tous les plaisirs de la terre par-dessus le marché.
L'homme demanda :
- Qui es-tu ?
- Je suis le Diable.
- Alors, je ne te veux pas pour parrain. Tu trompes les hommes et tu les
emportes.
Il continua son chemin. Le Grand Faucheur aux ossements desséchés venait vers
lui et l'apostropha en ces termes :
- Prends-moi pour parrain.
L'homme demanda :
- Qui es-tu ?
- Je suis la Mort qui rend les uns égaux aux autres.
Alors l'homme dit :
- Tu es ce qu'il me faut. Sans faire de différence, tu prends le riche comme le
pauvre. Tu seras le parrain.
Le Grand Faucheur répondit :
- Je ferai de ton fils un homme riche et illustre, car qui m'a pour ami ne peut
manquer de rien.
L'homme ajouta :
- Le baptême aura lieu dimanche prochain ; sois à l'heure.
Le Grand Faucheur vint comme il avait promis et fut parrain.
Quand son filleul eut grandi, il appela un jour et lui demanda de le suivre. Il
le conduisit dans la forêt et lui montra une herbe qui poussait en disant :
- Je vais maintenant te faire ton cadeau de baptême. Je vais faire de toi un
médecin célèbre. Quand tu te rendras auprès d'un malade, je t'apparaîtrai. Si tu
me vois du côté de sa tête, tu pourras dire sans hésiter que tu le guériras. Tu
lui donneras de cette herbe et il retrouvera la santé. Mais si je suis du côté
de ses pieds, c'est qu'il m'appartient ; tu diras qu'il n'y a rien à faire,
qu'aucun médecin au monde ne pourra le sauver. Et garde-toi de donner l'herbe
contre ma volonté, il t'en cuirait !
Il ne fallut pas longtemps pour que le jeune homme devint le médecin le plus
illustre de la terre.
« Il lui suffit de regarder un malade pour savoir ce qu'il en est, s'il guérira
ou s'il mourra », disait-on de lui. On venait le chercher de loin pour le
conduire auprès de malades et on lui donnait tant d'or qu'il devint bientôt très
riche. Il arriva un jour que le roi tomba malade. On appela le médecin et on lui
demanda si la guérison était possible. Quand il fut auprès du lit, la Mort se
tenait aux pieds du malade, si bien que l'herbe ne pouvait plus rien pour lui.
- Et quand même, ne pourrais-je pas un jour gruger la Mort ? Elle le prendra
certainement mal, mais comme je suis son filleul, elle ne manquera pas de fermer
les yeux. Je vais essayer.
Il saisit le malade à bras le corps, et le retourna de façon que maintenant, la
Mort se trouvait à sa tête. Il lui donna alors de son herbe, le roi guérit et
retrouva toute sa santé. La Mort vint trouver le médecin et lui fit sombre
figure ; elle le menaça du doigt et dit :
- Tu m'as trompée ! Pour cette fois, je ne t'en tiendrai pas rigueur parce que
tu es mon filleul, mais si tu recommences, il t'en cuira et c'est toi que
j'emporterai !
Peu de temps après, la fille du roi tomba gravement malade. Elle était le seul
enfant du souverain et celui-ci pleurait jour et nuit, à en devenir aveugle. Il
fit savoir que celui qui la sauverait deviendrait son époux et hériterait de la
couronne. Quand le médecin arriva auprès de la patiente, il vit que la Mort
était à ses pieds. Il aurait dû se souvenir de l'avertissement de son parrain,
mais la grande beauté de la princesse et l'espoir de devenir son époux
l'égarèrent tellement qu'il perdit toute raison. Il ne vit pas que la Mort le
regardait avec des yeux pleins de colère et le menaçait de son poing
squelettique. Il souleva la malade et lui mit la tête, où elle avait les pieds.
Puis il lui fit avaler l'herbe et, aussitôt, elle retrouva ses couleurs et en
même temps la vie.
Quand la Mort vit que, pour la seconde fois, on l'avait privée de son bien, elle
marcha à grandes enjambées vers le médecin et lui dit :
- C'en est fini de toi ! Ton tour est venu !
Elle le saisit de sa main, froide comme de la glace, si fort qu'il ne put lui
résister, et le conduisit dans une grotte souterraine. Il y vit, à l'infini, des
milliers et des milliers de cierges qui brûlaient, les uns longs, les autres
consumés à demi, les derniers tout petits. À chaque instant, il s'en éteignait
et s'en rallumait, si bien que les petites flammes semblaient bondir de-ci
de-là, en un perpétuel mouvement.
- Tu vois, dit la Mort, ce sont les cierges de la vie humaine. Les grands
appartiennent aux enfants ; les moyens aux adultes dans leurs meilleures années,
les troisièmes aux vieillards. Mais, souvent, des enfants et des jeunes gens
n'ont également que de petits cierges.
- Montre-moi mon cierge, dit le médecin, s'imaginant qu'il était encore bien
long.
La Mort lui indiqua un petit bout de bougie qui menaçait de s'éteindre et dit :
- Regarde, le voici !
- Ah ! Cher parrain, dit le médecin effrayé, allume-m'en un nouveau, fais-le par
amour pour moi, pour que je puisse profiter de la vie, devenir roi et épouser la
jolie princesse.
- Je ne le puis, répondit la Mort. Il faut d'abord qu'il s'en éteigne un pour
que je puisse en allumer un nouveau.
- Dans ce cas, place mon vieux cierge sur un nouveau de sorte qu'il s'allume
aussitôt, lorsque le premier s'arrêtera de brûler, supplia le médecin.
Le Grand Faucheur fit comme s'il voulait exaucer son voeu. Il prit un grand
cierge, se méprit volontairement en procédant à l'installation demandée et le
petit bout de bougie tomba et s'éteignit. Au même moment, le médecin s'effondra
sur le sol et la Mort l'emporta.



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