GRIMM BRÜDER

Title:ELSA LA FUTÉE
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


ELSA LA FUTÉE


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Il était un homme qui avait une fille nommée Elsa la futée. Quand elle fut
devenue grande, il dit :
- Nous allons la marier.
- Oui, dit la mère, si seulement quelqu'un voulait d'elle !
De loin, on vit arriver un gars qui s'appelait Jeannot et qui lui faisait la
cour. Il voulait bien l'épouser, mais à une condition : qu'Elsa la futée fût
vraiment intelligente.
- Oh ! dit le père ; elle en a dans la cervelle !
Et la mère ajouta :
- Elle voit le vent et entend les mouches tousser.
- Si elle n'est pas vraiment intelligente, je ne la prendrai pas, dit Jeannot.
Après avoir mangé, comme ils étaient encore à table, la mère dit :
- Elsa, va à la cave chercher de la bière.
Elsa la futée prit la cruche qui pendait au mur et descendit à la cave, tout en
faisant claquer le couvercle du pot pour trouver le temps moins long. Quand elle
y fut arrivée, elle prit un tabouret et l'installa devant le tonneau pour ne pas
être obligée de se courber, de se faire mal au dos et de tomber peut-être
malade. Puis elle plaça la cruche devant elle et ouvrit le robinet. Pendant que
la bière coulait, ne voulant pas laisser ses yeux à rien faire, elle regarda le
mur d'en face et aperçut, au bout d'un certain temps, une pioche qu'un maçon
avait laissée là par inadvertance. Elsa la futée se mit à pleurer, disant :
- Si j'épouse Jeannot et si nous avons un enfant, quand il sera assez grand pour
que nous l'envoyions à la cave, y tirer de la bière, la pioche tombera sur sa
tête et le tuera.
Elle restait là à pleurer, gémissant sur ce malheur à venir. En haut, les autres
attendaient la bière, mais Elsa la futée n'arrivait pas. Sa mère dit à la
servante :
- Va donc voir à la cave ce que devient Elsa.
La servante y alla et trouva Elsa assise devant le tonneau, pleurant et criant à
tue-tête.
- Pourquoi pleures-tu ? Lui demanda-t-elle.
- Ah ! répondit-elle, comment ne pleurerais-je pas ? Si j'épouse Jeannot et si
nous avons un enfant, quand il sera grand et que nous l'enverrons ici tirer de
la bière, cette pioche lui tombera peut-être sur la tête et il en mourra.
- Que notre Elsa est futée, dit la bonne.
Et elle s'assit auprès d'elle et se mit à pleurer, à son tour, sur le malheur
annoncé.
Au bout d'un certain temps, comme la servante ne revenait pas et que les autres
avaient de plus en plus soif, le père dit au valet :
- Va donc voir à la cave ce que deviennent Elsa et la bonne.
Le valet s'y rendit. Il les vit toutes deux pleurant.
- Pourquoi ces larmes? Leur demanda-t-il.
- Ah ! dit Elsa, comment ne pleurerais-je pas ? Si j'épouse Jeannot et si nous
avons un enfant, quand il sera grand et que nous l'enverrons ici tirer de la
bière, la pioche lui tombera sur la tête et le tuera.
Le valet dit alors :
- Que notre Elsa est futée.
Il s'assit à côté des deux femmes et se mit à hurler de chagrin.
En haut, on attendait le valet. Mais comme il ne revenait pas plus que les
autres, le père dit à sa femme :
- Va donc voir à la cave ce que devient Elsa.
La femme y alla et les vit tous les trois qui gémissaient. Elle leur en demanda
la raison. Elsa lui expliqua que son futur enfant serait certainement tué par la
pioche qui tomberait sur lui, quand il serait assez grand pour qu'on l'envoyât
chercher de la bière. Et comme les autres, la mère dit :
- Ah ! que notre Elsa est futée !
Elle s'assit et pleura avec eux.
En haut, le père attendit encore un moment. Ne voyant pas sa femme revenir et sa
soif devenant de plus en plus grande, il dit :
- Il va falloir que j'aille moi-même à la cave pour voir ce que devient Elsa.
Quand il y arriva, et qu'il les vit tous assis là à pleurer, quand il apprit que
l'enfant d'Elsa pourrait être tué par la pioche au moment où il viendrait tirer
de la bière, il s'écria :
- Que notre Elsa est futée ! s'assit et pleura avec les autres.
Le fiancé resta seul longtemps. Comme personne ne revenait, il se dit : « Ils
doivent m'attendre en bas. Il faut que j'y aille pour voir ce qui se passe ».
Quand il arriva à la cave, les cinq étaient assis là qui pleuraient et
gémissaient pitoyablement, l'un plus fort que l'autre.
- Quel malheur est-il donc arrivé ? demanda-t-il.
- Ah ! mon cher Jeannot, dit Elsa ; si nous nous marions ensemble et si nous
avons un enfant, quand il sera grand et que nous l'enverrons peut-être ici pour
tirer de la bière, cette pioche qui est restée là-haut pourra lui casser la
tête, si elle lui tombe dessus. N'y a-t-il pas de quoi pleurer ?
- Non, répondit Jeannot.
- Tant d'intelligence me suffit. Puisque tu es si futée, je t'épouserai.
Et il la prit par la main, la conduisit dans la maison et ils se marièrent.
Au bout de quelque temps, Jeannot lui dit :
- Femme, je vais partir pour travailler et gagner de l'argent. Va au champ et
coupe les blés pour que nous ayons du pain.
- Je le ferai, mon cher Jeannot.
Quand son mari fut parti, elle se prépara une bonne bouillie et partit pour les
champs. Une fois arrivée, elle se dit à elle-même : « Que dois-je faire ? Couper
d'abord ou manger d'abord ? Je vais commencer par manger. » Elle vida son pot de
bouillie et quand elle fut rassasiée, elle se dit encore : « Que vais-je faire ?
Couper d'abord ou dormir d'abord ? Dormons d'abord ! » Elle s'allongea dans les
blés et s'endormit. Jeannot était depuis longtemps rentré à la maison et Elsa
n'était toujours pas là. Il se dit : « Qu'est-ce que mon Elsa est futée ! Elle
est si travailleuse qu'elle ne revient même pas à la maison pour manger. » Comme
elle ne rentrait toujours pas et que le soir tombait, Jeannot partit à sa
rencontre pour voir combien de blé elle avait coupé. Mais il n'y avait rien de
coupé du tout, et Elsa dormait au milieu du champ. Jeannot se hâta de rentrer à
la maison, prit un filet à oiseaux avec des petites clochettes, et alla l'en
recouvrir. Elle dormait toujours. Il repartit chez lui, verrouilla la porte,
s'assit sur une chaise et travailla.
Finalement, comme il faisait déjà nuit, Elsa la futée s'éveilla. Quand elle se
leva, elle entendit un bruissement autour d'elle et des clochettes se mirent à
tinter à chaque pas qu'elle faisait. Elle prit peur et se demanda si elle était
vraiment Elsa la futée. « Le suis-je ou ne le suis-je pas ? » se demanda-t-elle.
Mais elle ne savait quelle réponse donner à sa propre question et resta un
moment à hésiter. Finalement, elle se dit : « je vais aller à la maison et je
demanderai si je le suis ou si je ne le suis pas. On verra bien. »
Elle courut vers sa porte, mais celle-ci était fermée. Elle frappa à la fenêtre
et cria :
- Jeannot, Elsa est-elle là ?
- Oui, répondit Jeannot, elle est là.
Elsa s'effraya et reprit :
- Seigneur Dieu, c'est que je ne suis pas Elsa.
Et elle alla à une autre porte. Mais les gens, qui entendaient tinter les
clochettes, ne voulurent pas ouvrir et personne ne la laissa entrer. Elle quitta
le village et, depuis, on n'en a plus entendu parler.



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