GRIMM BRÜDER

Title:PETIT FRÈRE ET PETITE SOEUR
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


PETIT FRÈRE ET PETITE SOEUR



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Petit frère prit sa petite soeur par la main et dit :
- Depuis que notre mère est morte, nous ne connaissons plus que le malheur.
Notre belle-mère nous bat tous les jours et quand nous voulons nous approcher
d'elle, elle nous chasse à coups de pied. Pour nourriture, nous n'avons que de
vieilles croûtes de pain, et le petit chien, sous la table, est plus gâté que
nous ; de temps à autre, elle lui jette quelques bons morceaux. Que Dieu ait
pitié de nous ! Si notre mère savait cela ! Viens, nous allons partir par le
vaste monde !
Tout le jour ils marchèrent par les prés, les champs et les pierrailles et quand
la pluie se mit à tomber, Petite soeur dit :
- Dieu et nos coeurs pleurent ensemble !
Au soir, ils arrivèrent dans une grande forêt. Ils étaient si épuisés de
douleur, de faim et d'avoir si longtemps marché qu'ils se blottirent au creux
d'un arbre et s'endormirent.
Quand ils se réveillèrent le lendemain matin, le soleil était déjà haut dans le
ciel et sa chaleur pénétrait la forêt. Petit frère dit à sa soeur :
- Petite soeur, j'ai soif. Si je savais où il y a une source, j'y courrais pour
y boire ; il me semble entendre murmurer un ruisseau.
Il se leva, prit Petite soeur par la main et ils partirent tous deux à la
recherche de la source. Leur méchante marâtre était en réalité une sorcière et
elle avait vu partir les enfants. Elles les avait suivis en secret, sans bruit,
à la manière des sorcières, et avait jeté un sort sur toutes les sources de la
forêt. Quand les deux enfants en découvrirent une qui coulait comme du vif
argent sur les pierres, Petit frère voulut y boire. Mais Petite soeur entendit
dans le murmure de l'eau une voix qui disait : « Qui me boit devient tigre. Qui
me boit devient tigre. » Elle s'écria :
- Je t'en prie, Petit frère, ne bois pas ; sinon tu deviendras une bête sauvage
qui me dévorera. Petit frère ne but pas, malgré sa grande soif, et dit :
- J'attendrai jusqu'à la prochaine source.
Quand ils arrivèrent à la deuxième source, Petite soeur l'entendit qui disait :
« Qui me boit devient loup. Qui me boit devient loup. » Elle s'écria :
- Petit frère, je t'en prie, ne bois pas sinon tu deviendras loup et tu me
mangeras.
Petit frère ne but pas et dit :
- J'attendrai que nous arrivions à une troisième source, mais alors je boirai,
quoi que tu dises, car ma soif est trop grande.
Quand ils arrivèrent à la troisième source, Petite soeur entendit dans le
murmure de l'eau : « Qui me boit devient chevreuil. Qui me boit devient
chevreuil. » Elle dit :
- Ah ! Petit frère, je t'en prie, ne bois pas, sinon tu deviendras chevreuil et
tu partiras loin de moi.
Mais déjà Petit frère s'était agenouillé au bord de la source, déjà il s'était
penché sur l'eau et il buvait. Quand les premières gouttes touchèrent ses
lèvres, il fut transformé en jeune chevreuil.
Petite soeur pleura sur le sort de son pauvre Petit frère et le petit chevreuil
pleura aussi et s'allongea tristement auprès d'elle. Finalement, la petite fille
dit :
- Ne pleure pas cher petit chevreuil, je ne t'abandonnerai jamais.
Elle détacha sa jarretière d'or, la mit autour du cou du chevreuil, cueillit des
joncs et en tressa une corde souple. Elle y attacha le petit animal et ils
s'enfoncèrent toujours plus avant dans la forêt. Après avoir marché longtemps,
longtemps, ils arrivèrent à une petite maison. La jeune fille regarda par la
fenêtre et, voyant qu'elle était vide, elle se dit : « Nous pourrions y habiter.
» Elle ramassa des feuilles et de la mousse et installa une couche bien douce
pour le chevreuil. Chaque matin, elle faisait cueillette de racines, de baies et
de noisettes pour elle et d'herbe tendre pour son petit frère. Il la lui
mangeait dans la main, était content et folâtrait autour d'elle. Le soir, quand
Petite soeur était fatiguée et avait dit sa prière, elle appuyait sa tête sur le
dos du chevreuil -c'était un doux oreiller - et s'endormait. Leur existence eût
été merveilleuse si Petit frère avait eu son apparence humaine !
Pendant quelque temps, ils vécurent ainsi dans la solitude. Il arriva que le roi
du pays donna une grande chasse dans la forêt. On entendit le son des trompes,
la voix des chiens et les joyeux appels des chasseurs à travers les arbres. Le
petit chevreuil, à ce bruit, aurait bien voulu être de la fête.
- Je t'en prie, Petite soeur, laisse-moi aller à la chasse, dit-il ; je n'y
tiens plus. Il insista tant qu'elle finit par accepter.
- Mais, lui dit-elle, reviens ce soir sans faute. Par crainte des sauvages
chasseurs, je fermerai ma porte. À ton retour, pour que je te reconnaisse,
frappe et dis « Petite soeur, laisse-moi entrer. » Si tu n'agis pas ainsi, je
n'ouvrirai pas.
Le petit chevreuil s'élança dehors, tout joyeux de se trouver en liberté. Le roi
et ses chasseurs virent le joli petit animal, le poursuivirent, mais ne
parvinrent pas à le rattraper. Chaque fois qu'ils croyaient le tenir, il sautait
par-dessus les buissons et disparaissait. Quand vint le soir, il courut à la
maison, frappa et dit :
- Petite soeur, laisse-moi entrer !
La porte lui fut ouverte, il entra et se reposa toute la nuit sur sa couche
moelleuse. Le lendemain matin, la chasse recommença et le petit chevreuil
entendit le son des cors et les « Oh ! Oh ! » des chasseurs. Il ne put résister.

- Petite soeur, ouvre, ouvre, il faut que je sorte ! dit-il.
Petite soeur ouvrit et lui dit :
- Mais ce soir il faut que tu reviennes et que tu dises les mêmes mots qu'hier.
Quand le roi et ses chasseurs revirent le petit chevreuil au collier d'or, ils
le poursuivirent à nouveau. Mais il était trop rapide, trop agile. Cela dura
toute la journée. Vers le soir, les chasseurs finirent par le cerner et l'un
d'eux le blessa légèrement au pied, si bien qu'il boitait et ne pouvait plus
aller que lentement. Un chasseur le suivit jusqu'à la petite maison et
l'entendit dire :
- Petite soeur, laisse-moi entrer !
Il vit que l'on ouvrait la porte et qu'elle se refermait aussitôt. Il enregistra
cette scène dans sa mémoire, alla chez le roi et lui raconta ce qu'il avait vu
et entendu. Alors le roi dit :
- Demain nous chasserons encore !
Petite soeur avait été fort affligée de voir que son petit chevreuil était
blessé. Elle épongea le sang qui coulait, mit des herbes sur la blessure et dit
:
- Va te coucher, cher petit chevreuil, pour que tu guérisses bien vite.
La blessure était si insignifiante qu'au matin il ne s'en ressentait plus du
tout. Quand il entendit de nouveau la chasse il dit :
- Je n'y tiens plus ! Il faut que j'y sois ! Ils ne m'auront pas.
Petite soeur pleura et dit :
- Ils vont te tuer et je serai seule dans la forêt, abandonnée de tous. Je ne te
laisserai pas sortir !
- Alors je mourrai ici de tristesse, répondit le chevreuil. Quand j'entends le
cor, j'ai l'impression que je vais bondir hors de mes sabots.
Petite soeur n'y pouvait plus rien. Le coeur lourd, elle ouvrit la porte et le
petit chevreuil partit joyeux dans la forêt. Quand le roi le vit, il dit à ses
chasseurs :
- Poursuivez-le sans répit tout le jour, mais que personne ne lui fasse de mal !
Quand le soleil fut couché, il dit à l'un des chasseurs :
- Maintenant tu vas me montrer la petite maison !
Quand il fut devant la porte, il frappa et dit :
- Petite soeur, laisse-moi entrer !
La porte s'ouvrit et le roi entra. Il aperçut une jeune fille si belle qu'il
n'en avait jamais vu de pareille. Quand elle vit que ce n'était pas le
chevreuil, mais un homme portant une couronne d'or sur la tête qui entrait, elle
prit peur. Mais le roi la regardait avec amitié, lui tendit la main et dit :
- Veux-tu venir à mon château et devenir ma femme ?
- Oh ! oui, répondit la jeune fille, mais il faut que le chevreuil vienne avec
moi, je ne l'abandonnerai pas.
Le roi dit :
- Il restera avec toi aussi longtemps que tu vivras et il ne manquera de rien.
Au même instant, le chevreuil arriva. Petite soeur lui passa sa laisse et, la
tenant elle-même à la main, quitta la petite maison.
Le roi prit la jeune fille sur son cheval et la conduisit dans son château où
leurs ...