GRIMM BRÜDER

Title:LA LUNE
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Subject:GERMAN FICTION
Speaker:LECLERC ANNE
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Jacob et Wilhelm GRIMM


LA LUNE



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Il était autrefois un pays où les nuits étaient sombres, et le ciel couvrait
cette contrée comme un drap noir. La lune n'y sortait jamais, pas une seule
étoile ne scintillait dans l'obscurité. Les ténèbres y régnaient comme à la
création du monde.
Quatre jeunes hommes de ce pays partirent un jour en voyage et arrivèrent dans
un autre royaume où tous les soirs, lorsque le soleil se couchait derrière la
montagne, s'allumait dans les cimes d'un chêne un disque étincelant qui
répandait au loin une douce lumière. Cela permettait aux gens de tout bien voir
et distinguer, même si la lumière n'était pas aussi forte et éclatante que celle
du soleil.
Les voyageurs s'arrêtèrent et, abasourdis, demandèrent au paysan qui passait par
là avec son chariot quelle était cette lumière.
- C'est la lune, répondit le paysan. Notre maire l'a achetée pour trois écus et
l'a attachée au sommet du chêne. Tous les jours il doit y rajouter de l'huile et
bien la nettoyer pour qu'elle brille comme il faut. Nous lui payons ce service
un écu chacun.
Le paysan partit en cahotant, et l'un des jeunes hommes siffla :
- Une telle lampe nous serait bien utile chez nous ! Nous avons un chêne aussi
grand que celui-ci, nous pourrions l'y accrocher. Quel plaisir de ne plus
marcher en tâtonnant !
- Savez vous ce que nous allons faire ? lança le deuxième. Nous irons chercher
un cheval et une charrette et nous emporterons la lune avec nous. Ils n'auront
qu'à s'en acheter une autre.
- Je sais bien grimper, dit le troisième, je la décrocherai.
Le quatrième trouva un cheval et une charrette et le troisième grimpa sur
l'arbre. Il fit un trou dans le disque lumineux, passa une corde à travers le
trou et fit descendre la lune. Dès que la lune étincelante fut dans la
charrette, ils lui passèrent une couverture pour que personne ne s'aperçoive du
vol. Ils transportèrent la lune sans encombre jusque dans leur pays et
l'accrochèrent sur le haut chêne. Et tout le monde se réjouit, les jeunes et les
vieux, de cette nouvelle lampe dont la lumière pâle se répandait dans les champs
et dans les prés, et jusque dans les cuisines et les chambrettes. Des grottes
dans la montagne sortirent des lutins et des petits génies en petits manteaux
rouges et ils se mirent à danser la ronde dans les prés.
Notre quatuor de voyageurs prit la lune en charge. Ils ajoutaient de l'huile,
nettoyaient la mèche et percevaient pour leur travail un écu par semaine. Mais
le temps passa et ils devinrent vieux et grisonnants, et lorsque l'un d'eux
tomba malade et sentit que ses jours étaient comptés, il exigea qu'on mit dans
son cercueil un quart de la lune en tant que sa propriété. Après sa mort, le
maire grimpa sur l'arbre, découpa un quart de la lune avec des ciseaux de
jardinier et on le mit dans le cercueil du défunt. La lune perdit un peu de son
éclat, mais pour le moment cela ne se voyait pas trop.
Quelque temps après, le deuxième décéda on l'enterra avec le deuxième quart de
la lune, et la lumière baissa un peu plus. Et elle faiblit encore lorsque le
troisième mourut et emporta, lui aussi, son quart de lune avec lui. Et dès
qu'ils enterrèrent le quatrième, l'obscurité totale d'autrefois envahit à
nouveau tout le pays. Et chaque fois que les gens sortaient de chez eux sans
leur lanterne, ils se cognaient les uns aux autres.
Or, les quatre quarts de la lune se rejoignirent sous la terre, là, où depuis
toujours l'obscurité régnait. Les morts, très étonnés d'y voir de nouveau, se
réveillaient. La lumière de la lune était suffisante car leurs yeux avaient
perdu l'habitude et n'auraient pu supporter l'éclat du soleil. Ils se levèrent,
les uns après les autres, et tous se mirent à faire la fête de nouveau, comme
ils en avaient l'habitude autrefois. Les uns jouèrent aux cartes, d'autres
allèrent danser et d'autres encore partirent à l'auberge, commandèrent du vin,
se saoulèrent, se donnèrent du bon temps, puis se disputèrent et finirent par
attraper des bâtons. Et ce fut la bagarre. Et quelle bagarre et quel tapage ! Le
vacarme était tel qu'il parvint jusqu'au ciel.
Saint Pierre, qui surveille la porte d'entrée du paradis, pensa qu'une révolte
avait éclaté aux enfers. Il appela l'armée céleste pour repousser l'odieux
ennemi et ses complices pour le cas où ils voudraient attaquer la demeure des
défunts. Personne ne s'étant présenté, saint Pierre lui-même monta à cheval et,
passant par la porte céleste, descendit tout droit aux enfers. Il ramena le
calme parmi les défunts décharnés, leur fit regagner leurs tombes, il emporta la
lune avec lui et l'accrocha dans le ciel.



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