GRIMM BRÜDER

Title:LA LUMIÈRE BLEUE
Subject:GERMAN FICTION Scarica il testo


Jacob et Wilhelm GRIMM


LA LUMIÈRE BLEUE


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Il y avait une fois un brave soldat, nommé François, qui pendant plusieurs
années avait combattu dans bien des batailles et avait toujours fait son devoir.
Mais lorsque la paix fut conclue et qu'il fut congédié avec la plus grande
partie de l'armée, on ne lui accorda pas la moindre pension ; il alla trouver le
roi et il réclama contre cette injustice. Mais Sa Majesté, qui avait besoin de
beaucoup d'argent pour bâtir un magnifique palais, l'envoya promener.
« Tu me le payeras peut-être un jour », se dit le soldat, et il s'en fut
s'acheter un pain avec les derniers liards qui lui restaient. Puis il sortit de
la ville et parcourut la campagne pour trouver un peu de travail comme homme de
peine ; car il n'avait appris d'autre métier que celui de soldat. La journée se
passa sans que personne eût voulu l'occuper.
Vers le soir, il s'engagea dans un bois, et, la nuit étant venue, il n'en était
pas encore sorti. Tout à coup il aperçut de loin une lumière ; il marcha dans
cette direction et finit par atteindre une maisonnette. Il y trouva une vieille
femme, qui n'était autre qu'une méchante sorcière.
- Bonsoir, ma bonne femme, dit François ; je me suis égaré dans la forêt et je
viens vous prier de me donner un gite pour la nuit et une croûte pour souper.
- Une autre, répondit la sorcière, refuserait de loger un homme qui, comme toi a
quelque air d'un vagabond. Mais moi j'ai bon coeur et je vais te donner de quoi
calmer ta faim. Demain tu me rendras, j'espère, un petit service.
- Volontiers, dit François, si c'est dans mon pouvoir.
- Oh ! il ne s'agit que de bêcher mon jardin.
Là-dessus François, ayant soupé, s'en fut au grenier se coucher sur une botte de
paille. Le lendemain il se mit à l'ouvrage et bêcha le jardin ; il eut de la
peine à avoir fini le soir.
- Nous voilà quittes, lui dit la vieille ; mais si tu veux demain fendre en
bûches ma provision de bois pour l'hiver, je te donnerai de nouveau à souper et
je t'hébergerai la nuit.
François accepta et, le jour suivant, il joua de la hache jusqu'au soir ; il en
était tout harassé.
- Tu as bien travaillé, dit la vieille ; aussi demain je ne te demanderai qu'un
léger service qui ne te fatiguera guère. Ce sera de descendre dans le vieux
puits de la cour ; il ne contient plus d'eau, mais j'y ai laissé tomber une
chandelle ; j'y tiens parce qu'elle donne une belle flamme bleue et qu'elle ne
s'éteint jamais.
Le lendemain François se rendit auprès du puits avec la vieille qui le laissa
descendre dans un panier attaché à la corde de la poulie. Lorsqu'il fut au fond,
il aperçut en effet une flamme bleue qui provenait de la chandelle magique ; une
espèce d'étui était à côté, dans lequel on pouvait l'enfermer ; quand on le
rouvrait, la flamme brillait de nouveau, et jamais la chandelle ne s'usait.
François la prit ainsi que l'étui et agita la corde. La sorcière remonta le
panier et, lorsqu'il fut arrivé à l'orifice du puits, elle tendit aussitôt la
main et dit : « Allons, vite, passe-moi ma chandelle! »
Mais François, devenu méfiant, répondit :
- Auparavant je veux de nouveau avoir mes pieds sur la terre ferme.
- Donne tout de suite, dit la vieille, pleine de colère.
François refusa de nouveau ; alors, saisie de fureur, la sorcière lâcha la
corde, et le pauvre François retomba au fond du puits. Lorsqu'il se fut relevé,
il se souvint qu'il avait dans sa poche une pipe à moitié bourrée de tabac.
« Ce sera ma dernière consolation, se dit-il, que de me régaler encore de
quelques bonnes bouffées. »
Puis, ayant allumé sa pipe à la flamme bleue, il se mit à fumer. Au bout de
quelques secondes apparut devant lui un petit homme noir, qui, se prosternant
avec respect, lui dit : Maitre, que commandes-tu ?
Comment , ce que je commande ? répondit François . Pourquoi aurais-tu à m'obéir
? je n'ai jamais eu de ma vie à donner des ordres.
- Tout ce que je sais, dit le petit homme, c'est que je suis chargé d'exécuter
tes volontés.
- Soit, dit François ; eh bien, tire-moi de ce vilain lieu.
Le nain alors lui fit apercevoir un couloir qui conduisait à une caverne, où la
sorcière avait entassé des trésors. François y puisa largement et, les poches
remplies d'or et de diamants, il arriva à la lumière du jour.
- Maintenant, dit-il, va empoigner la sorcière et livre-la à la justice.
Le petit s'en fut bientôt il reparut monté sur un gros chat sauvage, et tenant
devant lui, liée aux mains et aux jambes, l'affreuse vieille, qui hurlait.
Au bout de quelque temps, il revint et dit : - Elle est enfermée dans la tour ;
demain on la jugera. Que me faut-il faire encore ?
- Va te reposer, mon garçon, répondit François. Mais si j'avais besoin de toi,
comment ferais-je ?
- Tu n'auras de nouveau qu'à fumer un peu avec ta pipe après l'avoir allumée à
la lumière bleue.
François sortit de la forêt et retourna à la capitale. Après s'être fait
habiller tout de neuf et très magnifiquement chez le premier tailleur, il alla
loger dans le plus bel hôtel de la ville, et il fit une grande dépense. Au bout
de quelques jours de cette vie de luxe, qui lui semblait comme un rêve, une idée
lui traversa l'esprit et, avec sa pipe, il fit venir le petit homme noir.
- Écoute, dit-il, j'ai à me venger du roi qui m'a traité si injustement. Cette
nuit tu m'amèneras sa fille unique, pour qu'elle me nettoie mes bottes.
- Rien de plus facile, répondit le nain. Seulement tâche que la chose reste
secrète; tu dois savoir que le roi n'entend pas la plaisanterie, et du reste
celle-ci est un peu forte. Mais cela te regarde ; moi je n'ai qu'à obéir.
Et en effet, sur le coup de minuit, il amena la princesse, qui était plongée
dans un état pareil au somnambulisme.
- À l'ouvrage, Mademoiselle, s'écria François, et servez-moi, comme j'ai servi
votre père. Prenez ce balai, et balayez le plancher.
La princesse, muette et les yeux presque entièrement fermés, fit tant bien que
mal la besogne qui lui était demandée.
- Maintenant, voici des brosses et du cirage, reprit François ; nettoyez mes
bottes et faites-les bien briller, je vous prie.
La fille du roi obéit de nouveau mais, n'ayant jamais fait de pareil ouvrage,
elle y resta bien longtemps. Puis, sur l'ordre de François, le petit homme la
ramena dans son appartement. Le lendemain matin elle raconta à son père ce
qu'elle croyait n'avoir été qu'un simple rêve.
- Cependant, ajouta-t-elle, je suis toute fatiguée, et j'ai les os comme rompus.
Mais le roi, qui savait que dans ce temps des fées il se passait des choses bien
extraordinaires, prit la chose au sérieux et dit à sa fille de remplir, le soir,
les poches de son peignoir de pois et d'y faire un trou.
C'est ce qu'elle fit et, lorsque le petit homme vint la prendre et la transporta
à travers les airs à la chambre de François, les pois s'échappèrent et auraient
pu indiquer le chemin qu'elle avait pris. Mais le petit homme s'aperçut de la
ruse et, lorsqu'il eut ramené la princesse chez elle, il alla semer des pois
dans toutes les rues de la ville. C'est ce qu'on vint annoncer au roi, qui alors
ne douta plus que sa fille n'eût en réalité fait office de servante. Il en fut
mortifié. Après avoir réfléchi, il dit à la princesse de garder ses pantoufles
en se couchant, et d'en laisser une sous un meuble, si on venait de nouveau
l'enlever.
C'est ce qu'elle fit. Cette fois le petit homme ne s'aperçut de rien, et
lorsque, le lendemain, les gens du roi vinrent visiter tous les appartements de
la ville, ils découvrirent, dans la chambre de François, la mule de la
princesse.
Il fut aussitôt appréhendé au corps et jeté en prison. À travers les barreaux de
sa cellule, il vit placé là, comme sentinelle, un de ses anciens bons camarades
du régiment. Il parvint à ouvrir la fenêtre et il appela son ami.
- Écoute, dit François, quand on t'aura relevé de faction, tâche de t'introduire
dans la chambre que j'occupais à l'hôtel. Au fond de l'armoire à ...